Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/502

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marée turbulente. Il n’y a donc rien à gagner ici avec un article de foi ou une vérité généralement reconnue, et il nous faut examiner de plus près les causes qui pourraient faire reculer la civilisation, de l’intérêt général jusqu’à l’égoïsme.

Nous trouvons, en réalité, que les causes les plus importantes de la décadence d’anciennes nations civilisées sont depuis longtemps connues des historiens. La cause, qui agit de la façon la plus simple, c’est que la culture se borne d’ordinaire à des cercles étroits d’individus qui, au bout d’un certain temps, sont troublés dans leur existence isolée et engloutis par des cercles plus étendus, où les masses se trouvent dans un état d’infériorité. Ici on retrouve toujours que la partie supérieure de la société humaine, que ce soit un État entier ou une caste privilégiée, ne sait vaincre son égoïsme que partiellement, dans l’intérieur de son étroite sphère, tandis qu’au dehors l’opposition s’accentue, comme entre Grecs et Barbares, maîtres et esclaves. La communauté, dans les intérêts de laquelle l’individu disparaît, se ferme au dehors avec. tous les symptômes de l’égoïsme ; elle précipite ainsi sa chute par l’application incomplète du même principe, auquel elle doit dans son intérieur la culture morale supérieure qui la distingue. Une deuxième cause a déjà été mentionnée : il se forme au sein de la société, progressive dans son ensemble, des différences qui grandissent insensiblement, font disparaître les points de contact, décroître les relations mutuelles et tarir la source principale de la sympathie qui reliait les citoyens entre eux. Alors dans la masse primitivement homogène se forment des classes privilégiées, qui ne sont même pas bien unies entre elles, et, quand l’accumulation des richesses crée des jouissances jusqu’alors inconnues, on voit naître un nouvel égoïsme, raffiné, pire que le précédent. Ainsi en allait-il dans l’ancienne Rome, à l’époque des latifundia, où l’agriculture fut refoulée par les parcs des riches et où des moitiés de provinces appartenaient à quelques individus.