Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/82

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la raison, et celui-là seul devrait par nous être appelé le philosophe. Lui-même, malgré tous les défauts de ses déductions, est devenu un pareil « professeur d’idéal ». Schiller, en premier lieu, a saisi avec une grande force de divination le fond de ses doctrines et l’a débarrassé de toutes les scories scolastiques.

On ne trouverait pas de preuve plus convaincante de l’importance, par nous attribuée à la poésie, que le fait de Schiller partageant bien des fois et exagérant même, dans ses écrits en prose, les défauts du maître, tandis que dans la poésie il reste conséquent aux sublimes inspirations du système. Kant est d’avis que l’on peut seulement « concevoir par la pensée », et non contempler avec les sens le « monde intelligible » ; mais ce qu’il en pense doit avoir une « réalité objective ». Schiller a eu raison de rendre visible le monde intelligible, en Je traitant à la façon d’un poëte ; il a d’ailleurs marché sur les traces de Platon qui, en contradiction avec sa propre dialectique, produisit sa création la plus sublime, en rendant sensible, dans le mythe, le suprasensible.

Schiller, le « poëte de la liberté », pouvait oser transporter ouvertement la liberté dans le « domaine des rêves » et dans celui « des ombres » ; car, sous sa main, les rêves et les ombres s’élevaient à l’idéal. L’élément chancelant devenait un pôle fixe ; l’élément vaporeux, une forme divine ; le jeu du caprice, une loi éternelle, alors qu’il plaçait l’idéal en face de la vie. Tout ce que la religion et la morale contiennent de bon ne peut être représenté avec plus de pureté et d’énergie que dans l’hymne immortel, qui se termine par l’apothéose du fils des dieux torturé. Ici se personnifie la fuite hors des limites des sens vers le monde intelligible. Nous suivons le dieu qui, « en flamboyant, se sépare de l’homme », puis le rêve et la vérité échangent leurs rôles — le rêve pesant de la vie s’affaisse, s’affaisse et s’affaisse.