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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

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se conserve, qu’elle doit avoir le caractère de masse absolue pour être adéquate à l’ancienne cinématique.

Si l’on remplace au contraire l’ancienne cinématique du temps absolu par la nouvelle cinématique — en changeant seulement la superstructure — et en conservant comme bases fondamentales les deux principes de conservation de l’énergie et de relativité, nous obtenons une autre dynamique dans laquelle la masse n’est plus invariable. En particulier, la masse change avec la vitesse ; à mesure qu’un corps va plus vite, son inertie augmente ; il se laisse moins facilement déplacer à mesure qu’il va plus vite ; la même action électrique par exemple d’un corps voisin lui donnera une accélération moindre s’il va vite que s’il va lentement.

Ainsi, la masse devient variable en suivant une loi connue, une loi qu’on peut écrire. Nous arrivons à une masse variable avec la vitesse, ce qui est tout à fait étranger à l’ancienne mécanique, et l’on a pu vérifier directement cette variation de la masse avec la vitesse.

Naturellement, on l’aurait déjà constatée antérieurement si cette variation était importante, si elle était sensible aux vitesses ordinaires, même aux vitesses d’artillerie. En fait, la théorie montre qu’elle ne devient sensible qu’aux vitesses qui ont une valeur notable par rapport à la vitesse de la lumière, à partir de 20 000 kilomètres par seconde à peu près. Les expériences faites sur les projectiles ayant cette vitesse l’ont montré, et nous connaissons de tels projectiles. Les rayons cathodiques, les particules négatives qui sont lancées dans un tube produisant des rayons Rœntgen, par exemple, vont à des vitesses qui peuvent atteindre jusqu’à 150 000 kilomètres par seconde, la moitié de la vitesse de la lumière ; et parmi les rayons du radium, les rayons β vont plus loin encore, jusqu’à 298 000 kilomètres par seconde.

À ces vitesses, la théorie prévoit que la masse va devenir 10 fois plus grande que la masse ordinaire — et l’expérience le vérifie — et l’on trouve bien, par des procédés que je n’ai pas à vous décrire, en étudiant la manière dont ces projectiles sont déviés par des actions électriques ou magnétiques, une masse dix fois plus grande que la masse ordinaire. C’est pour l’ancienne mécanique quelque chose d’étrange et d’incompatible avec ses lois. Voilà donc une vérification très importante.

Une autre vérification non moins impressionnante vient de ce que nous savons maintenant, grâce à ce qu’on appelle la théorie de Bohr, prévoir les spectres lumineux émis par les atomes. Des particules cathodiques analogues à celles que nous observons dans les tubes de Crookes, ou dans les rayons β du radium, sont présentes dans les atomes dont elles constituent tout le système planétaire en quelque sorte. Quand on leur applique les lois de la mécanique ancienne, les principes de la théorie de Bohr permettent de prévoir exactement le spectre de l’hydrogène, par exemple, avec les positions de ses raies. Seulement, ces lois mécaniques ne donnent exactement que des raies pures, une fréquence bien définie pour chacune des raies, alors que l’expérience montre que ces raies de l’hydrogène ont une structure, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas simples : en y regardant de près, on voit qu’elles ont des composantes très rapprochées les unes des autres.

M. Sommerfeld s’est dit que, si la mécanique ancienne était impuissante à nous faire prévoir la structure des raies de l’hydrogène, les particules vont peut-être bien assez vite pour qu’il faille leur appliquer la nouvelle dynamique. Il l’a appliquée, et il a trouvé exactement la structure expérimentale des raies de l’hydrogène.

Ainsi, toutes les fois que les corps vont vite, ce n’est plus l’ancienne mécanique qu’il faut appliquer : Donnant des résultats suffisamment approchés aux faibles vitesses, elle ne donne plus rien d’exact quand on arrive à des vitesses de 20 000, de 150 000 ou de 298 000 kilomètres par seconde. Au contraire, la nouvelle mécanique s’applique, et admirablement : elle est ainsi imposée par l’expérience et par conséquent aussi la nouvelle cinématique sur laquelle elle est fondée.

Il y a d’autres confirmations encore plus impressionnantes. On aurait pu craindre que cette nouvelle mécanique ne fût plus compliquée que l’ancienne. Au contraire, elle est plus simple. Dans l’ancienne mécanique, à côté de la notion du temps absolu, nous avions la conservation de la masse, la conservation de la quantité de mouvement, et la conservation de l’énergie. La nouvelle dynamique nous dit au contraire : que la notion de masse se confond avec celle d’énergie et qu’un corps est inerte en proportion de l’énergie interne qu’il contient. Quand on augmente cette énergie, soit en chauffant ce corps, soit en lui communiquant de la vitesse, l’inertie augmente ; l’inertie est proportionnelle à l’énergie interne. Il n’y a plus de conservation de la masse indépendante de la conservation de l’énergie. Il y a un seul principe, le principe de la conservation de l’énergie. Quant au principe de la conservation de la quantité de mouvement qui, dans la mécanique ancienne, est parallèle au principe de la conservation de l’énergie,