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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

ses difficultés à mettre en pratique cette possibilité.

Voilà la première étape. Il nous reste la seconde, qui n’est pas la moins difficile à comprendre, et pour l’exposition de laquelle je vous demande un peu d’indulgence. Je vais essayer de franchir maintenant avec vous le dernier stade des découvertes de M. Einstein, l’étape qui constitue la partie la plus extraordinaire et la plus géniale de sa théorie.

Jusqu’ici nous avons bien introduit le temps relatif, mais nous avons respecté l’espace euclidien.

Cette dernière étape a exigé un véritable rétablissement qui a remis en question des postulats conservés en relativité restreinte. L’univers auquel nous venons d’aboutir, l’univers électromagnétique, si je puis dire, est euclidien, c’est-à-dire que l’espace reste l’espace décrit par la géométrie euclidienne ; bien que le temps ait changé de caractère, l’espace a conservé son caractère euclidien.

Cet univers euclidien de la relativité restreinte est caractérisé par le fait que la lumière s’y propage en ligne droite avec la même vitesse dans toutes les directions, qu’un mobile abandonné à lui-même s’y meut d’un mouvement rectiligne et uniforme. Dans cet univers de la relativité restreinte, nous connaissons les lois de l’électromagnétisme, de l’optique, de la dynamique. Pour obtenir la synthèse correspondante, nous avons sacrifié le postulat du temps absolu, puis le postulat de la masse absolue, et celui du mouvement absolu qui était connexe. En procédant ainsi, nous avons gagné énormément ; peut-être qu’en sacrifiant encore quelque chose d’a priori, d’absolu, nous gagnerons encore ? C’est précisément ce qui est arrivé.

Dans notre synthèse, que je viens d’esquisser rapidement, il y a deux lacunes : d’abord le fait que l’indépendance du mouvement d’ensemble d’un système et de l’aspect des phénomènes est restreinte au cas des mouvements de translation uniforme ; puis le fait que dans tout ceci il n’est pas question de la gravitation.

La gravitation est un phénomène sui generis qu’on a bien essayé d’interpréter d’abord mécaniquement (il y a les vieilles théories de Lesage, les corpuscules ultra-mondains, etc.), puis par l’électromagnétisme. Lorentz, en particulier, a tenté de donner une explication électromagnétique de la gravitation. Cela n’a pas marché. Et cependant l’électromagnétisme avait l’air d’expliquer tout. Nous avons vu qu’il expliquait la mécanique. Il explique les phénomènes de cohésion : on est certain que la cohésion des corpuscules, des particules des corps unies dans les solides est due à des forces d’origine électromagnétique. Les phénomènes chimiques aussi résultent d’échanges de particules électrisées entre des atomes pour constituer des molécules. Tout cela c’est de l’électromagnétisme.

Il reste donc deux choses en présence, l’électromagnétisme sur lequel est basée la synthèse précédente et la gravitation, qui ne rentre pas dans cette synthèse. Celle-ci limite la relativité aux systèmes aux mouvements en translation uniforme et ne comprend pas la gravitation.

Le grand mérite d’Einstein a été précisément de montrer que ces lacunes sont connexes, et qu’en comblant l’une, on comble l’autre. Il est arrivé ainsi à la relativité généralisée, grâce à laquelle on fait rentrer la gravitation dans notre synthèse en même temps qu’on étend le principe de relativité à des observateurs en mouvement quelconque les uns par rapport aux autres.

Le succès d’Einstein est venu de ce qu’il a été dès l’abord convaincu qu’on devait pouvoir obtenir une relativité généralisée, c’est à dire qu’on devait pouvoir construire une théorie de la physique telle que les lois de la physique fussent les mêmes non seulement pour des systèmes en translation uniforme les uns par rapport aux autres, mais pour des systèmes quelconques, aussi bien pour des observateurs liés à un corps en rotation que pour des observateurs utilisant, pour fixer la notation des événements, des systèmes de coordonnées, des systèmes de référence, absolument quelconques équivalant pour l’univers aux coordonnées curvilignes que les mathématiciens emploient sur les surfaces et dans l’espace.

Cette conviction était basée sur le fait suivant. J’ai distingué tout à l’heure ce que nous avons appelé coïncidences absolues, c’est à dire les coïncidences qui ont lieu à la fois dans l’espace et dans le temps et qui ont un sens absolu. Au contraire, les coïncidences dans l’espace à des instants différents comme les coïncidences dans le temps en des lieux différents n’ont qu’un sens relatif.

Deux événements se passent au même endroit pour nous, à des instants différents. Pour des gens qui passeront, qui se déplaceront par rapport à nous, les deux événements, par exemple les présences de deux corps, ne se passeront pas au même point.

Je reprends mon vieil exemple du wagon qui a un trou et qui se meut sur une voie de chemin de fer. Je laisse tomber successivement deux corps par le trou. Ce sont là deux