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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

évènements qui, pour moi, se passent au même point, si je suis dans le wagon. Mais, pour des gens qui sont sur la voie, ces deux évènements se passent en des points différents puisque dans l’intervalle de temps des deux sorties des corps par le trou du wagon, celui-ci s’est déplacé par rapport à la voie. Pour d’autres observateurs que ceux qui sont dans le wagon, ces événements qui coïncidaient dans l’espace n’y coïncident plus. Ce qu’a introduit la relativité restreinte, c’est que la coïncidence dans le temps, quand il s’agit de lieux différents, n’a non plus, qu’un sens relatif. La relativité restreinte a rétabli l’harmonie, la symétrie entre l’espace et le temps, puisque la coïncidence dans l’espace n’avait qu’un sens relatif tandis que la coïncidence dans le temps avait un sens absolu. En relativité restreinte, ni l’une ni l’autre n’ont de sens absolu, seule la coïncidence à la fois dans l’espace et dans le temps a un sens absolu. C’est la coïncidence absolue.

Et cela est vrai non seulement pour des observateurs qui seront en translation les uns par rapport aux autres, mais aussi pour des gens en rotation par exemple. S’ils voient deux objets se cogner, ils ne nieront pas que les présences de ces objets ont coïncidé dans l’espace et dans le temps. Tous les observateurs seront d’accord à ce sujet quels que soient leurs mouvements les uns par rapport aux autres.

D’autre part, il est bien certain que toutes nos expériences sont fondées sur l’observation de semblables coïncidences absolues. Quand nous observons le passage d’une étoile dans une lunette, ce que nous observons, c’est la coïncidence absolue de l’image de l’étoile avec la croisée des fils du réticule, ou, pour être plus strict, c’est la coïncidence absolue de l’image de l’étoile et de la croisée des fils du réticule avec un certain élément sensible de notre rétine. Toute observation se ramène à des coïncidences absolues avec nos organes de sensations tactiles, visuelles, etc.

Les lois de la physique ne sont que l’affirmation d’enchaînements de semblables coïncidences absolues. J’observerai telle chose, telle coïncidence absolue, si je réalise telles conditions, c’est à dire si je réalise des coïncidences absolues successives. Et, puisque ces coïncidences absolues sont admises par tous les observateurs, quels que soient les moyens qu’ils emploient pour repérer les évènements, les lois elles-mêmes doivent avoir une signification indépendante de la manière dont les évènements sont repérés et par conséquent il doit être possible d’énoncer ces lois sous une forme qui n’implique pas le système de référence. De même la géométrie nous donne les moyens d’énoncer les propriétés des figures sans parler du système de coordonnées. Il s’agit de faire pour la physique ce que la géométrie a fait pour l’espace, je veux dire la géométrie proprement dite, la géométrie pure par opposition avec la géométrie analytique. Du moment que cela est possible, il faut le réaliser ou plutôt l’imposer comme condition primordiale à remplir par toute théorie physique.

C’est ce qu’a fait Einstein. Cela a été possible parce que les deux lacunes, de la relativité restreinte, d’une part, et de l’absence de gravitation dans notre système, d’autre part, étaient connexes. En effet, qu’est-ce qui caractérise la gravitation, qui lui donne son aspect tellement particulier ? c’est ceci.

Si nous abandonnons un corps à lui-même, non plus, comme le principe d’inertie le supposait, loin de toute matière (ce qui est encore plutôt une abstraction ! Il y a là encore pour ainsi dire un absolu à la base ! Définir les lois fondamentales de la mécanique en se mettant en dehors de toute mécanique, en supposant qu’on s’en va à l’infini, ce n’est pas satisfaisant ! Ceux qui ont réfléchi quand on a commencé à leur enseigner la mécanique ont été choqués de ce fait que, pour expliquer au début des choses difficiles, on donne un énoncé qui n’a pas de sens expérimental), mais si nous abandonnons un corps à lui-même en le lançant, au voisinage de la Terre, nous savons très bien qu’il ne va pas se mouvoir d’un mouvement rectiligne et uniforme ; il aura un mouvement parabolique uniforme dans le sens horizontal et uniformément varié dans le sens vertical. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce mouvement sous l’action de la gravitation va être le même pour tous les corps, pourvu qu’ils aient été lancés de la même manière, et qu’il suffit de connaître un point où le corps passera et avec quelle vitesse il y passera pour savoir quel sera son mouvement ultérieur. Il n’y a pas besoin pour cela de savoir ce qu’il est. Tous les corps se comportent exactement de la même manière dans un champ de pesanteur ou de gravitation.

Eh bien, si nous regardons maintenant ce qui se passe quand nous observons les corps à partir d’un autre observatoire que nos observatoires en translation, (si par exemple nous sommes sur un observatoire en rotation — c’est le cas pour la Terre — nous avons pu négliger sa rotation pour les phénomènes électromagnétiques qui y sont très peu sensibles ; mais, pour la mécanique, nous ne le pouvons pas), nous allons observer des effets exactement semblables à ceux que produit un champ de gravitation.