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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

Regardons assis sur une plateforme tournante ce que va devenir un corps lancé. Supposons que son mouvement soit suffisamment rapide pour qu’il ne soit pas sensiblement influencé par la gravitation et que sa trajectoire soit une ligne droite pour des observateurs liés aux étoiles, immobiles, ou en translation uniforme par rapport aux étoiles. Si nous sommes sur une plateforme en rotation, nous le voyons décrire une trajectoire compliquée. Pour nous et pour tout système de référence qui n’est pas en translation rectiligne et uniforme par rapport aux étoiles, le principe de l’inertie n’est pas exact. Un corps abandonné à lui-même ne se meut pas en ligne droite : il suit un mouvement compliqué, qui dépend du système de référence mais qui est indépendant du corps.

Cela donne le même aspect que les lois de la gravitation. Sous l’action de la gravitation, le mouvement se produit de la même façon pour tous les corps. Quand je change le système de référence, le mouvement spontané n’est plus rectiligne et uniforme, et s’en écarte de la même manière pour tous les corps. C’est cette parenté de la gravitation et des effets d’un mouvement d’ensemble qui sauta aux yeux d’Einstein plus violemment qu’aux yeux de tout autre physicien avant lui. Il remarqua qu’on peut, par un mouvement convenable du système de référence, produire des effets analogues à ceux de la gravitation. C’est là ce qu’il appelle le principe d’équivalence d’un mouvement d’ensemble non uniforme et d’un champ de gravitation.

Voyons ce qui se passe dans une cage d’ascenseur en chute libre ou dans le boulet de Jules Verne.

Le système du boulet de Jules Verne est un système qui n’est pas en translation rectiligne et uniforme par rapport aux étoiles ; il tombe par rapport à la Terre sous l’action de la pesanteur. Supposons qu’il soit en chute libre après avoir été lancé vers le haut. Sa façon de tomber, c’est de continuer à monter, et ensuite de retomber, ou, s’il a été lancé avec une force suffisante dans l’espace, sa façon de tomber serait de tourner autour de la Terre, comme la Lune. Newton a montré que le mouvement des astres représente leur façon de tomber.

Imaginons des corps situés à l’intérieur du boulet de Jules Verne. Il n’y a plus de gravitation puisque ces corps, tombant en même temps que lui n’ont aucune accélération par rapport au boulet de Jules Verne. Dès qu’il est libre, qu’il est en train de tomber, il n’y a plus de pesanteur à son intérieur ; les corps laissés au milieu du boulet resteraient au milieu ; lancés à son intérieur ils se mouvraient de façon rectiligne et uniforme par rapport à lui. À son intérieur, l’eau ne prendrait pas de surface libre horizontale, elle se répandrait par capillarité le long des parois. Toute la physique prendrait des aspects assez différents.

Nous avons compensé en quelque sorte le champ de gravitation par un champ de force d’inertie en rapportant le mouvement à des axes en mouvement. Le changement accéléré du mouvement du système de référence est équivalent à un changement du champ de gravitation qu’on peut faire apparaître ou disparaître à volonté. Einstein a énoncé ce qu’il a appelé le principe d’équivalence : un champ de gravitation est équivalent à un champ de force d’inertie, c’est à dire à l’utilisation d’un système de référence convenablement choisi.

Si l’on peut ainsi faire disparaître le champ de gravitation par l’emploi du boulet de Jules Verne, on peut aussi y faire apparaître un champ de gravitation très intense, en le tirant très violemment de manière à lui communiquer une accélération énorme. Tout se passerait pour des gens placés à l’intérieur comme s’ils étaient soumis à l’action d’un champ de pesanteur énorme ; ils seraient écrasés contre le fond du boulet, tout se passerait pour eux, comme si la pesanteur avait extraordinairement augmenté.

Si l’on peut ainsi, par l’emploi d’un système de référence convenable, faire apparaître ou disparaître le champ de gravitation, n’est-il pas possible de choisir convenablement nos coordonnées, et le mouvement des observateurs, de façon à faire disparaître partout la gravitation ? S’il y a équivalence, on doit pouvoir se débarrasser de la gravitation, ce qui serait assez commode, faire comme si nous étions dans un boulet de Jules Verne. On peut dire que si cela avait été possible, il est probable qu’on n’aurait pas attendu Einstein pour le faire.

Cette suppression de la gravitation en tous lieux par un choix convenable du système de référence où des observateurs feraient apparaître l’Univers comme euclidien dans toute son étendue, puisque, en tout lieu et à tout instant, la physique serait celle de la Relativité restreinte.

De même que Copernic a dit qu’il était beaucoup plus simple de choisir des coordonnées héliocentriques, de rapporter le mouvement au Soleil au lieu de le rapporter à la Terre, on aurait dit qu’il était plus simple de prendre tel ou tel système de repérage entre les événements qui vaudrait pour tout l’Univers, et qui nous débarrasserait de cette gênante gravitation. Au point de vue théorique, nous ne pouvons nous empêcher d’être sur la Terre et placés dans un champ de gravi-