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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

mons que les mouvements spontanés des corps qui tombent sur la Terre et des astres qui tournent autour du Soleil ne sont pas dûs à des attractions dans un espace euclidien, mais qu’ils sont simplement des mouvements géodésiques dans un Univers non euclidien, ce caractère non euclidien tient à ce qu’il y a de la matière dans l’espace.

De quelle manière la matière va-t-elle déterminer les propriétés de l’espace ?

Eh bien, Einstein a pu développer entièrement la théorie, nous donner les lois suivant lesquelles c’est la matière, ou plus exactement l’énergie présente dans l’Univers, puisque nous avons ramené tout à l’heure l’une des notions à l’autre, qui détermine la courbure de l’espace et le mouvement spontané.

C’est un retournement. Vous voyez comment au fond on peut dire que cela devient presque naturel. C’est presque une autre façon de dire la même chose. Au lieu de dire que le mouvement de la Lune autour de la Terre résulte de l’attraction que la Terre exerce sur la Lune dans un Univers euclidien, nous disons que l’Univers n’est pas euclidien, qu’il s’en écarte à cause de la présence de la Terre en quelque sorte, et que c’est cette modification des propriétés de l’espace que la Terre produit autour d’elle qui fait que le mouvement spontané de la Lune n’est pas un mouvement rectiligne et uniforme, mais un mouvement de circulation.

Ce n’est pas plus malin que cela, évidemment ; mais c’est génial !

Quand on applique cette théorie au cas du Soleil et de la planète Mercure, on trouve qu’elle explique exactement un résidu de la théorie Newtonienne, que les astronomes n’avaient jamais pu interpréter, et que Leverrier avait cru expliquer par l’hypothèse de Vulcain, planète intra-mercurielle. Les astronomes s’étaient crevé inutilement les yeux pour voir passer Vulcain sur le Soleil. Il suffit de développer les conséquences des équations d’Einstein pour obtenir immédiatement le mouvement de Mercure tel que les astronomes l’observent.

C’est déjà une sanction qui est équivalente à celle de l’entraînement des ondes pour la relativité restreinte.

On a pu aller plus loin encore. Du moment où notre Univers est conçu comme modifié par la présence de la matière et de l’énergie en général, non seulement un corps, en suivant sa géodésique, ne s’y déplacera pas en ligne droite d’un mouvement uniforme, mais encore la lumière qui représente de l’énergie et qui, dans l’Univers euclidien se propage en ligne droite, n’étant plus dans un Univers euclidien, ne se propagera plus en ligne droite : d’où la déviation de la lumière venant d’une étoile, quand elle passe dans la région de l’Univers fortement perturbée qui se trouve au voisinage du Soleil. On peut calculer de combien l’étoile paraîtra plus écartée du Soleil qu’elle ne l’est réellement, à cause de cette déviation de la lumière due à la forte courbure de l’Univers au voisinage du Soleil, et l’expérience a confirmé exactement les prévisions quantitatives de la théorie.

De même, dans un domaine encore plus éloigné, si je puis dire, c’est non seulement l’espace qui est modifié, mais c’est aussi le temps. Non seulement les propriétés de l’espace dépendent de ce qui s’y trouve, mais les propriétés du temps dépendent aussi de ce qui y passe.

Et, du fait de la présence du Soleil, les horloges, quelles qu’elles soient, marcheront autrement qu’en son absence ; par exemple les atomes qui sont sur le Soleil n’ont pas les fréquences lumineuses, n’émettent pas le même spectre que lorsqu’ils sont sur la Terre. Effectivement, nous pouvons constater que les raies du spectre solaire dues à certaines substances sont déplacées par rapport aux raies des mêmes substances émises sur la Terre et que le déplacement est exactement celui prévu par la théorie. Il est très petit, mais les opticiens ont le moyen de le déceler, et la vérification expérimentale est parfaite. Le déplacement des raies prévu par la nouvelle théorie est entièrement conforme aux résultats de l’expérience.

L’explication de l’anomalie de la planète Mercure, la déviation de la lumière dans le voisinage du Soleil, le déplacement des raies du spectre solaire, voilà des prévisions tout à fait inattendues, qui ont enrichi notre domaine expérimental, et prouvé que la nouvelle théorie est non seulement la seule qui rend compte entièrement des faits, mais qui permet encore d’en prévoir de nouveaux. Nous n’avons rien actuellement qui puisse lui être comparé à ce point de vue, pas plus qu’au point de vue de la beauté intérieure, de la nécessité logique et de la fidélité à ce que doit être toute physique, une construction théorique sur une base exclusivement expérimentale.

En éliminant le temps absolu, la masse absolue, nous avons gagné l’univers euclidien qui ne comprenait pas la gravitation. En éliminant le caractère euclidien de la géométrie, nous avons gagné l’interprétation de la gravitation et la relativité généralisée, c’est à dire la possibilité, moyennant l’introduction d’un champ de gravitation convenablement distribué, de donner aux lois de physique une forme indépendante du système de référence, comme le raisonnement de tout à l’heure sur les enchaî-