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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

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Ainsi les géométries non Euclidiennes à deux dimensions sortent de leurs limbes et prennent une signification concrète précise : ce sont les Géométries des lignes tracées sur des surfaces qu’on peut envisager dans un espace Euclidien à trois dimensions.

Riemann est allé plus loin et a imaginé un espace à trois dimensions comme l’espace Euclidien mais qui en différerait cependant par le fait que les parallèles n’y existeraient pas, ou au contraire parce qu’on pourrait mener par un point une infinité de parallèles à une droite ou plus exactement à une géodésique de cet espace définie comme ligne de plus courte distance entre deux quelconques de ses points.

De semblables Géométries se développent sans aucune contradiction et leur expression mathématique ou analytique est tout simplement une transposition de la Géométrie des surfaces ordinaires dans le cas d’un plus grand nombre de dimensions. C’est là un jeu de formules qui ne présente aucune difficulté mais dont nous ne pouvons plus suivre la signification aussi facilement que dans le cas des surfaces ordinaires parce qu’un espace quelconque de Riemann ne peut être conçu comme une surface à trois dimensions tracée dans un espace Euclidien que si celui-ci est à six dimensions. Comme un tel espace ne nous est pas familier, il est beaucoup plus simple d’étudier les propriétés de l’espace Riemannien sans en sortir, comme Gauss a montré qu’on pouvait étudier de manière intrinsèque la Géométrie des lignes tracées sur une surface, sans sortir de celle-ci et sans la supposer située dans un espace euclidien à trois dimensions.

Gauss construit toute la théorie des surfaces en supposant qu’elle est euclidienne dans l’infiniment petit, c’est-à-dire que la surface se confond au voisinage de chaque point avec son plan tangent. L’ensemble de la surface est ainsi constitué par la juxtaposition d’une infinité de facettes planes infiniment petites dont l’ensemble n’est pas euclidien, c’est-à-dire n’est pas applicable sur un plan. De même pour Riemann, l’espace à trois dimensions peut être considéré comme euclidien dans une région infiniment petite autour de chacun de ses points où il se confond, pour ainsi dire, avec un espace euclidien tangent, mais celui-ci change d’un point à l’autre comme le plan tangent à la surface de Gauss et l’ensemble est non euclidien.

Nous verrons que cette conception de Gauss et de Riemann est à la base de toute la théorie de Relativité généralisée. Pour celle-ci, l’Univers réel est non-Euclidien, mais il possède au voisinage immédiat de chacun de ses éléments un Univers Euclidien tangent dont la conception résumera la première étape du développement de la théorie, celle que nous désignerons sous le nom de Relativité restreinte.

Tout ceci n’est qu’un préambule destiné à vous rappeler ce qu’était la Géométrie et ce qu’elle pouvait devenir, puisque des mathématiciens avaient montré la possibilité de construire d’autres Géométries que celle d’Euclide, la seule connue depuis les Grecs.

Or, jusqu’à Einstein, les physiciens et avec eux les plus grands des mathématiciens comme Henri Poincaré, ont toujours cru qu’ils n’avaient pas besoin, pour représenter les lois de la Nature d’autres Géométries que celle d’Euclide.

Ils voyaient dans les Géométries non euclidiennes à plus de deux dimensions des jeux de l’esprit sans applications pratiques.

En fait les mathématiciens sont des artistes qui s’amusent ainsi à construire des systèmes à cause de leur beauté sans se préoccuper de savoir s’ils pourront servir à quelque chose. Nous devons leur en savoir gré, parce qu’en travaillant de la sorte, ils nous ont fourni des instruments admirables dont Einstein a montré qu’il était non seulement possible mais encore nécessaire de se servir pour représenter la réalité physique.

Ce travail spontané des mathématiciens joue au point de vue des applications à la Physique le même rôle que la recherche désintéressée des Physiciens, poussés uniquement par souci de comprendre, joue par rapport aux applications pratiques. Les découvertes les plus utiles à ce dernier point de vue ont été faites sans aucun souci d’utilité immédiate ; on stérilise la recherche scientifique en l’obligeant prématurément à s’occuper d’intérêts matériels.

Dans la structure ancienne de l’édifice des Sciences, à côté des notions fondamentales de la Géométrie Euclidienne et peut-être au-dessus, se trouvait placé le temps absolu, le vieux Temps avec sa faux, souverain absolu du Monde. Ce temps absolu possédait des propriétés qu’on lui attribuait a priori sans avoir beaucoup réfléchi à leur signification expérimentale précise. On croyait savoir par exemple ce qu’on voulait dire en parlant de la simultanéité de deux événements qui se passent en des lieux différents ; on attribuait à cette notion une signification absolue, de même qu’à celle d’ordre de succession dans le temps pour des événements distants dans l’espace.

Pour des événements qui se passent en un même lieu, à notre contact, par exemple, ces notions de simultanéité et d’ordre de succes-