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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

dire que deux horloges dont les indications concordent avec celles d’une troisième sont concordantes entre elles. Si on a réglé New-York et Pékin sur Paris, des signaux échangés entre Pékin et New-York vérifient le réglage de ces deux postes l’un par rapport à l’autre. On obtient un réseau complet d’horloges concordantes par simple réglage au moyen d’une horloge centrale, celle de Paris par exemple. Ce résultat n’est nullement évident a priori. Nous verrons qu’il ne subsiste pas lorsque la rotation du système matériel sur lequel on effectue le réglage devient suffisamment rapide, ou de façon plus générale lorsque ce système est placé dans un champ de gravitation.

Ce fait fondamental que vérifie l’expérience c’est l’axiome d’Einstein sur la possibilité d’obtenir, au moyen de signaux lumineux de vitesse constante, la concordance des temps entre des horloges portées par un système matériel en mouvement de translation rectiligne et uniforme par rapport aux axes d’inertie, pour lesquels les lois de la mécanique sont exactes, c’est-à-dire par rapport à un système dans lequel un mobile abandonné à lui-même se meut d’un mouvement rectiligne et uniforme. Ceci suppose précisément l’absence de rotation des axes ou de champ de gravitation. La faible rotation de la Terre n’exerce ici aucune influence sensible sur la propagation de la lumière ou des ondes de T. S. F.

Tout ceci est parfaitement clair et a, de plus, l’avantage sur l’ancienne notion du temps absolu d’avoir un sens expérimental précis.

Jusqu’ici quand on opérait de la sorte, on ne mettait pas en doute que la concordance des temps ainsi réalisée donne effectivement le temps absolu. On avait recours, il est vrai, à des signaux de vitesse finie, mais comme on tenait compte du temps de propagation on ne doutait pas que le réglage obtenu reste légitime pour des observateurs qui ne seraient pas liés à la Terre et seraient en mouvement par rapport à celle-ci. Les lois expérimentales de l’Électro-magnétisme et de l’Optique vont nous imposer la conclusion contraire et nous montrer le caractère relatif de la concordance des temps obtenue par l’intermédiaire de signaux lumineux. Nous serons conduits à poser en principe qu’aucun autre moyen accessible expérimentalement ne nous permettrait d’aboutir à un résultat différent et d’obtenir une autre définition du temps.

Après la géométrie, après le temps, il y a ce qu’on appelle la cinématique, c’est-à-dire l’étude de la succession des événements dans le temps, l’étude des trajectoires des mobiles. Cette étude fait intervenir non seulement des points comme l’espace et des instants comme le temps, mais des événements qui se passent en des points successifs à des instants différents. Nous avons ici affaire non plus à un ensemble à trois dimensions comme l’espace ou à un ensemble à une dimension comme le temps, dont les instants se succèdent en quelque sorte en série linéaire, mais nous avons affaire à un ensemble d’événements, à ce que nous appelons une multiplicité qui est en réalité à quatre dimensions.

Il faut bien nous entendre. Cela veut dire que, pour fixer un événement, il faut savoir où il se passe, ce qui exige trois coordonnées d’espace, et quand il se passe (et alors il faut une quatrième variable qui est le temps). Nous ne disons pas du tout que le temps est une quatrième dimension de l’espace, cela n’aurait aucun sens. Nous disons que la cinématique s’occupe des événements, et que pour fixer un événement, il faut connaître quatre quantités : trois coordonnées d’espace (par exemple à quelles distances des murs de cette salle se passe cet événement, dans trois directions perpendiculaires), et une quatrième coordonnée, l’instant où il se passe.

La cinématique est donc la partie de la science qui s’occupe de la multiplicité des événements, et qui étudie les mouvements des points sur les trajectoires, les notions dérivées de vitesse, d’accélération, etc…

Ceci est parfaitement simple. Nous avons, dans l’hypothèse du temps absolu et de la géométrie euclidienne une cinématique parfaitement définie.

Après cette cinématique, vient la dynamique. C’est la vieille mécanique rationnelle de Newton, qui a été construite à grand’ peine, et dont la valeur est immense puisqu’elle représente encore une approximation excellente pour tous les phénomènes qui nous intéressent au point de vue pratique.

Cette dynamique introduit de nouvelles conceptions, de nouveaux absolus. Nous avions déjà l’espace euclidien, le temps absolu. Newton a introduit explicitement la notion de la masse absolue pour préciser l’idée qu’un corps manifeste une résistance aux changements de vitesse. Quand on veut lui communiquer ce que nous appelons une accélération, en faisant agir sur lui une force, il cède plus ou moins volontiers à l’action de cette force. Pour une même action, il prendra un mouvement plus ou moins rapide, sa vitesse changera plus ou moins lentement suivant qu’il sera plus ou moins inerte. Un gros corps résistera plus, se mettra en mouvement moins facile-