Page:Langevin - L’Aspect général de la théorie de la relativité, 1922.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

ment qu’un petit, cette propriété d’inertie étant caractérisée par ce que Newton a appelé la masse du corps. Cette masse est conçue comme caractéristique de la quantité de matière que contient le corps et comme étant a priori invariable quelles que soient les modifications intérieures que le corps peut subir.

Ce qui caractérise la notion de masse absolue, c’est l’idée que les propriétés mécaniques d’une portion de matière sont indépendantes de l’état dans lequel peut être cette portion de matière. Qu’un corps soit froid ou qu’il soit chaud, qu’il contienne de l’eau ou que j’y comprime l’oxygène et l’hydrogène qui résultent de la décomposition de l’eau, au point de vue newtonien la manière dont ce corps résiste aux changements de vitesse serait exactement la même. Il en serait également ainsi que le corps soit en repos ou qu’il soit en mouvement. C’est une notion fondamentale en mécanique que l’effet de la vitesse est indépendant du mouvement antérieurement acquis. La masse sera la même si le corps est en repos ou s’il est en mouvement : c’est la masse absolue.

Au dessous de cette mécanique, dans la classification d’Auguste Comte, nous avons la physique ancienne, avec des compartiments divers : pesanteur, hydrostatique, acoustique, électricité, magnétisme, optique, etc… L’idéal déjà anciennement introduit était d’essayer d’expliquer la physique par la mécanique, de représenter les lois relatives aux différents compartiments de la physique à partir de la mécanique. L’idéal cartésien est précisément cela : ramener tout à la matière et au mouvement.

La tâche était immense, mais le but était clair : introduire en somme de l’unité dans toute cette diversité des phénomènes physiques en essayant de les ramener tous à des phénomènes considérés comme simples, en atteignant ce qu’on appelle une explication. Ce qu’on a désigné du nom de mécanisme, c’était la croyance à la possibilité d’expliquer les phénomènes physiques au moyen de la mécanique.

C’était une idée naturelle. Expliquer un phénomène, c’est montrer qu’il résulte d’une combinaison, d’une complication de phénomènes plus simples, et l’on avait l’impression que c’étaient les phénomènes mécaniques qui étaient les plus simples.

Ces phénomènes de mouvement, d’inertie, sont des phénomènes très anciennement connus, que nous avons pour ainsi dire dans la peau. L’ouvrier le moins instruit a la notion de l’inertie. Il sait très bien que pour arrêter un volant qui est en marche il faut faire un effort, que ce volant résiste aux changements de vitesse. Il a le sens de l’inertie. Nous avons en quelque sorte l’intuition de la mécanique, ce qui nous fait considérer les phénomènes mécaniques comme simples, et, ces phénomènes étant simples, c’est à partir d’eux que nous devons essayer d’expliquer les autres, ceux qui en principe nous apparaissent compliqués.

Cette tendance a été jusqu’à un certain point justifiée par les premiers succès du mécanisme. Vous savez par exemple qu’on peut se représenter la chaleur (les anciens l’avaient déjà dit, Descartes l’a dit de façon plus précise et ce que nous appelons la théorie cinétique l’a pour ainsi dire démontré) comme résultant de l’agitation plus ou moins violente des particules, des molécules dont les corps sont constitués. La théorie cinétique des gaz n’est pas autre chose que l’explication des propriétés des gaz par l’application de la mécanique ordinaire aux particules dont ces gaz sont composés.

Dans ce domaine de la théorie cinétique, le succès du mécanisme a été considérable. Il a été peut-être plus considérable encore dans la mécanique céleste.

Vous savez comment Newton a introduit la loi de gravitation, en vertu de laquelle les corps présents dans notre espace euclidien, invariable, intangible, exercent des actions les uns sur les autres, c’est-à-dire que la présence de l’un modifie le mouvement de l’autre. L’idée de Newton était que ces actions se transmettent instantanément à distance, idée qui n’a pas été accueillie très volontiers par ses contemporains, mais que ses successeurs, devant l’extraordinaire succès de la théorie newtonienne, ont considérée comme naturelle. Ils étaient, si j’ose dire, contaminés par l’habitude ; ils ont pris l’habitude de penser avec Newton que des corps, comme le Soleil et La Terre, pouvaient instantanément agir l’un sur l’autre à distance, conception qui, comme je le disais tout à l’heure, était tout à fait adéquate à celle du temps absolu.

Huyghens avait grogné, et nous verrons que Faraday a grogné de nouveau, et beaucoup plus fort ! C’est lui que nous retrouvons maintenant à travers Maxwell, Lorentz et Einstein. Newton, en introduisant cette action instantanée à distance dans la gravitation a pu constituer — et ses continuateurs, Leverrier, etc…, l’ont développé — la mécanique céleste. Je n’ai pas besoin de vous raconter tout cela.

Ainsi, c’est le succès de la théorie cinétique et de la mécanique céleste qui ont donné confiance. On a marché dès lors dans cette voie-là. Toute l’histoire de la physique, à la fin du XVIIIe siècle et pendant une grande partie du XIXe siècle, a consisté simplement à