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anecdotes sur nos troupes noires

— Amadou toujours debout, déclare-t-il, toujours vouloir marcher.

Et il ajoute :

— Si tout le monde sénégalais, fss !… les Boches.

Fss !… c’est le sifflement favori d’Amadou, un sifflement à lui, qui veut dire beaucoup de choses. Pour préciser sa pensée, le tirailleur fait le geste de faucher un champ de bataille, d’un seul coup.

Amadou ne quitte jamais son gris-gris.

— Mais il est mauvais ton gris-gris, puisque tu es blessé.

Le nègre riposte fièrement :

— Il est bon mon gris-gris, puisque moi pas mort.

Amadou sourit souvent. La blancheur de ses dents le lui permet. Il ne sourit jamais de si bon cœur que lorsqu’il subit un pansement douloureux. Il a l’air enchanté de souffrir. C’est peut-être aussi par coquetterie, à cause des « petites ».

Les « petites », Amadou appelle ainsi avec une affectueuse familiarité les infirmières dévouées qui le soignent et le gâtent. Amadou éprouve d’ailleurs une joie maligne à réduire à leur plus simple expression les gens qui l’approchent. Lorsque le chirurgien — un personnage considérable — s’approche de lui :

— Bonjour, infirmier, fait le nègre dont la figure s’épanouit.

Il ne consentira jamais à prononcer « docteur », à moins que le chirurgien ne se présente en tenue militaire.

Son infirmier est un excellent homme qui adore la conversation. Au beau milieu d’un récit, Amadou l’interrompt, et, se tournant vers ses camarades :

— Fss !… il parle, mais Amadou ne l’entend pas.

L’infirmier, qui s’amuse des petites taquineries de son blessé, a présenté Amadou à sa femme.

— Ton femme, y a bon, a répondu Amadou, mais toi soldat 2e classe… fss !…

Le brave tirailleur sénégalais m’a fait l’honneur de se promener avec moi sur la terrasse de l’hôpital.