Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’engendre l’exercice machinal de la profession d’érudit.

I. La condition primordiale pour bien faire les travaux d’érudition, c’est de s’y plaire. — Or les hommes qui ont reçu des dons exceptionnels de poètes et de penseurs, en un mot de créateurs, s’accommodent assez mal des petites besognes techniques de la critique préparatoire : ils se gardent bien de les dédaigner, ils les honorent au contraire, s’ils sont clairvoyants, mais ils ne s’y livrent guère, crainte de couper, comme on dit, des cailloux avec un rasoir. « Je ne suis pas d’humeur, écrivait Leibniz à Basnage, qui l’avait exhorté à composer un immense Corpus des documents inédits et imprimés relatifs à l’histoire du droit des gens, je ne suis pas d’humeur à faire le transcripteur… Et ne pensez-vous pas que vous me donnez un conseil semblable à celui d’une personne qui voudrait marier son ami à une méchante femme ? Car c’est marier un homme que de l’engager dans un ouvrage qui l’occuperait toute sa vie[1]. » Et Renan, parlant de ces « immenses travaux » préalables « qui ont rendu possibles les recherches de la haute critique » et les essais de construction historique, dit : « Celui qui, avec des besoins intellectuels plus excités [que ceux des auteurs de ces travaux], ferait maintenant un tel acte d’abnégation, serait un héros[2]… ». Quoique Renan ait dirigé la publication du Corpus inscriptionum semiticarum, et quoique Leibniz soit l’éditeur des Scriptores rerum Brunsvicensium, ni Leibniz, ni Renan, ni leurs pairs, n’ont eu, fort heureusement, l’héroïsme de sacrifier à l’érudition pure des facultés supérieures.

  1. Cité par Fr. X. von Wegele, Geschichte der deutschen Historiographie (München, 1885, in-8), p. 653.
  2. E. Renan, o. c., p. 125.