Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/146

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III. Déterminer le sens littéral d’un texte est une opération linguistique ; aussi a-t-on classé la Philologie (Sprachkunde) parmi les sciences auxiliaires de l’histoire. Pour comprendre un texte, il faut d’abord en connaître la langue. Mais la connaissance générale de la langue ne suffit pas. Pour interpréter Grégoire de Tours, ce n’est pas assez de savoir en général le latin ; il faut encore une interprétation historique spéciale pour adapter cette connaissance générale au latin de Grégoire de Tours.

La tendance naturelle est d’attribuer à un même mot le même sens partout où on le rencontre. Instinctivement on traite la langue comme un système fixe de signes. C’est en effet le caractère des signes créés exprès pour l’usage scientifique, l’algèbre, la nomenclature chimique ; là, toute expression a un sens précis, qui est unique, absolu et invariable ; elle exprime une idée analysée et définie exactement et elle n’en exprime qu’une, toujours la même, à quelque endroit qu’elle soit placée, quel que soit l’auteur qui l’emploie. Mais la langue vulgaire, dans laquelle sont écrits les documents, est une langue flottante ; chaque mot exprime une idée complexe et mal définie ; il a des sens multiples, relatifs et variables ; un même mot signifie plusieurs choses différentes ; il prend un sens différent dans un même auteur suivant les autres mots qui l’entourent ; il change de sens d’un auteur à un autre et dans le cours du temps. Vel signifie toujours ou en latin classique, il signifie et à certaines époques du moyen âge ; suffragium, qui veut dire suffrage en latin classique, prend au moyen âge le sens de secours. Il faut donc apprendre à résister à cet instinct qui nous porte à expliquer toutes les expressions d’un texte par le sens classique ou le sens habituel. L’interprétation