Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/238

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gement dans un usage, c’est que les hommes qui le pratiquent ont changé. Or les hommes ne sont pas divisés en compartiments étanches (religieux, juridiques, économiques) où se passeraient des phénomènes intérieurs isolés ; un accident qui modifie leur état change leurs habitudes à la fois dans les espèces les plus différentes. L’invasion des Barbares a agi à la fois sur les langues, la vie privée, les institutions politiques. On ne peut donc pas comprendre l’évolution en s’enfermant dans une branche spéciale d’histoire ; le spécialiste, pour faire l’histoire complète même de sa branche, doit regarder par-dessus sa cloison dans le champ des événements communs. C’est le mérite de Taine d’avoir déclaré, à propos de la littérature anglaise, que l’évolution littéraire dépend, non d’événements littéraires, mais de faits généraux.

L’histoire générale des faits uniques s’est constituée avant les histoires spéciales. Elle est le résidu de tous les faits qui n’ont pu prendre place dans les histoires spéciales, et s’est réduite à mesure que les branches spéciales se sont créées et s’en sont détachées. Comme les faits généraux sont surtout de nature politique et qu’il est plus difficile de les organiser en une branche spéciale, l’histoire générale est restée en fait confondue avec l’histoire politique (Staatengeschichte)[1]. Ainsi les historiens politiques ont été amenés à se faire les champions de l’histoire générale et à conserver dans leurs constructions tous les faits généraux (migrations de peuples, réformes religieuses, inventions et découvertes) nécessaires pour comprendre l’évolution.

  1. Le nom d’histoire nationale, introduit par des préoccupations patriotiques, désigne la même chose ; l’histoire de la nation se confond en fait avec l’histoire de l’État.