Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/274

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sans le dire explicitement — une force inhérente au mot, au rite, à la règle, qui produirait son évolution. C’est la théorie du développement (Entwickelung) des usages et des institutions ; lancée en Allemagne par l’école « historique », elle a dominé toutes les histoires spéciales. L’histoire des langues seule achève de s’en dégager[1]. — De même qu’on assimilait les usages à des êtres doués d’une vie propre, on personnifiait la succession des individus qui composent les corps de la société (royauté, église, sénat, parlement), en lui prêtant une volonté continue qu’on traitait comme une cause agissante. — Un monde d’êtres imaginaires s’est créé ainsi derrière les faits historiques et a remplacé la Providence dans l’explication des faits. Pour se défendre contre cette mythologie décevante, une règle suffira : Ne chercher les causes d’un fait historique qu’après s’être représenté ce fait d’une façon concrète sous la forme d’individus qui agissent ou qui pensent. Si l’on tient à user des substantifs abstraits, on devra éviter toute métaphore qui leur ferait jouer le rôle d’êtres vivants.

En comparant les évolutions des différentes espèces de faits dans une même société, l’école « historique » avait été amenée à constater la solidarité (Zusammenhang)[2]. Mais, avant d’en avoir cherché les causes par analyse, on supposa une cause générale permanente qui devait résider dans la société elle-même. Et, comme on s’était habitué à personnifier la société, on lui attribua un tempérament spécial, le génie propre de la nation ou de la race, qui se manifestait dans les

  1. Voir les déclarations très nettes d’un des principaux représentants de la science du langage en France, V. Henry, Antinomies linguistiques, Paris, 1896, in-8.
  2. Voir plus haut, p. 246.