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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

l’emportera, de la passion ou de la volonté, que l’on n’examine à quels motifs la volonté donnera son concours : de quelque côté qu’elle aille, elle ira par un libre consentement.

Même, de bonne heure, cette question ne se pose plus, et les luttes intérieures disparaissent : le héros cornélien s’est unifié. Rien au dedans ne le trouble, et c’est par là qu’il est invulnérable : le mal, le malheur peuvent l’assaillir du dehors, ils ne trouvent plus d’allié dans son cœur. Nulle faiblesse ne leur donne accès : rien ne peut le faire faillir ni défaillir. Cette impassibilité, qui tourne en impeccabilité, est atteinte dans Nicomède : à partir de ce moment, il n’y a plus chez les héros cornéliens d’obstacle intérieur ; ils vont sans hésitation, sereinement, facilement à l’acte qu’ils choisissent ; ils se sacrifient, ils meurent sans hésiter, sans sourciller.

Non, je ne pleure pas, madame, mais je meurs.


La passion en eux est réduite ; la volonté en dispose, ou la supprime.

On voit par là que Corneille juge et peint les passions par rapport à la volonté. Il ne les condamne pas en elles-mêmes : il dirait volontiers comme Descartes : « Les passions sont toutes bonnes de leur nature, et nous n’avons rien à éviter que leurs mauvais usages et leurs excès ». S’il ne peint pas ces mauvais usages et ces excès, ce n’est pas qu’il les ignore, ou qu’il ne sache pas les observer.

Il a indiqué à l’occasion les points où Racine devait sonder la misère de l’âme humaine : il a dit en deux mots ce qu’on y devait trouver.