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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

Mais Corneille refuse de s’y appesantir : il se contente de les formuler ; il se hâte de réduire sous la volonté ces surprises ou ces révoltes du sentiment ; parfois même il en fait la critique en les écartant.

Les plus grands déplaisirs sont les moins éclatants,
Et l’on sait qu’un grand cœur se possède en tous temps.

(Pertharite, III, 3.)

Voilà sa vérité à lui : il ne nie pas l’autre. Il sait bien qu’il y a des « crimes », dont « les honnêtes gens sont capables par une violence de passion…. Un honnête homme ne va pas voler au coin d’un bois… ; mais s’il est bien amoureux,… il peut s’emporter de colère et tuer dans un premier mouvement. » Seulement, il trouve plus intéressants les honnêtes gens qui se donnent le temps d’un second mouvement ou qui ont à l’avance assuré la bonté du premier.

Il aime mieux aussi, parmi les passions, celles qui, par leur nature ou leur degré, se laissent pénétrer de conscience et sont aisément maniables à la volonté, les affections domestiques, et les sentiments réfléchis.

Les affections de famille n’ont guère été reçues dans la tragédie que lorsqu’elles étaient violemment perverties ou brisées. En dehors des amours incestueuses, ou des haines domestiques, notre théâtre ne s’arrête guère à considérer les hommes dans leurs relations familiales : il est l’image du « monde », des ruelles et des salons, où les rapports naturels entrent moins en considération que les commerces de choix, les libres élections d’amour ou d’amitié. Le bonhomme Corneille, au contraire, n’oublie jamais que ces hommes qu’il montre sont des pères, des maris,