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CORNEILLE.

des fils, des frères : et il ne les présente pas sous ces titres seulement pour le besoin de l’action, pour ménager de tragiques situations. Sans doute l’état de fils et de fille lui servira de moyen pour obliger Rodrigue et Chimène à l’acte héroïque dont ils souffrent en le voulant : l’état de père sera pour Phocas une occasion de déchirement et d’incertitude cruelle : l’état de veuve de Pompée communiquera à la conduite de Cornélie envers César son caractère de générosité sublime.

Mais on a l’impression que ces affections sont pour le poète bien autre chose que des ressorts, des pièces mécaniques par où la machine tragique est mue ; qu’elles sont une matière d’observation, intéressante par soi, une partie de la vie qu’on ne saurait négliger dès qu’on veut faire une œuvre vraie. Ces pères, fils, maris, femmes, frères et sœurs le sont en dehors de l’affaire qui se traite dans la pièce ; les cœurs sont liés, et c’est cette liaison étroite des cœurs que Corneille a rendue avec une simplicité familière, avec une sérieuse tendresse.

Je pourrais chercher les exemples dans les chefs-d’œuvre : mais à quoi bon rappeler la paternité indulgente et grave du vieil Horace, ou la force de l’affection conjugale chez Sabine et Horace, chez Polyeucte et Pauline ? Voyez le bon mari que fait Pompée, encore qu’il ait deux femmes ; le bon mari que fait Pertharite, jusqu’à donner au mépris de la gloire et au scandale des romanesques sa couronne pour sa femme : Corneille, qui n’avait pas voulu donner à Rodelinde la passion maternelle, a réservé le sentiment pour l’entretien de Rodelinde