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CORNEILLE.

modifier la connaissance pour changer le principe et déplacer le but de l’action. Si la raison s’éclaire brusquement, la volonté tourne aussitôt, et l’on a ces volte-face instantanées qui ont tant étonné, et fait accuser Corneille de n’être pas un psychologue habile. Ses personnages pivotent sur eux-mêmes, et de la même démarche ferme dont ils allaient vers le nord, ils repartent vers le sud, l’œil fixe, sans un arrêt, sans une hésitation. Émilie, pendant quatre actes et demi, a fait du meurtre d’Auguste son suprême bien, sa raison de vivre : tout d’un coup elle s’aperçoit que cet homme n’est plus le tyran qui méritait sa vengeance ; elle sent tout son être changé. Elle s’écrie :

Ma haine va mourir que j’ai crue immortelle ;
Elle est morte.


Et la voilà pour l’avenir aussi bonne fille qu’elle était implacable ennemie de son père adoptif.

Un pur passionné, un sentimental, un nerveux ne se remettraient pas d’une pareille découverte : tout l’être s’effondrerait, quand l’objet de l’affection se déroberait ainsi ; on ne saurait où rattacher sa vie, quand on s’apercevrait avoir vécu si longtemps d’une chimère. La créature de volonté ne se démonte pas si aisément : elle change d’action quand le motif change, mais comme elle choisit son activité et ne la subit pas, elle ne risque pas de manquer d’objet. D’où sa sérénité dans une situation où les âmes communes seraient misérablement déchirées : pour elle, perdre une erreur, épurer sa volonté, c’est un bien, c’est un gain.

Il ne faut pas croire, au reste, que les âmes ne se