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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

renouvellent dans le théâtre de Corneille que par des changements à vue. La connaissance souvent se complète lentement au lieu de s’illuminer soudainement ; et la volonté s’oriente, et le personnage tourne par une évolution graduelle.

Voyez Attale dans Nicomède : au début de la pièce, ce n’est qu’un petit garçon, qui obéit à sa mère, qui aime Rome, qui admire Nicomède : il a un fonds de générosité naturelle, mais il ne sait où l’appliquer. Faute de lumières, sa conduite est incohérente et hésitante. Mais à mesure que la pièce se déroule, il prend une connaissance plus nette des divers facteurs de son action : il juge l’ambition de sa mère ; il perd sa confiance en Rome ; il voit à plein l’héroïsme de son frère. Aussi se déplace-t-il peu à peu, et tandis que d’abord il marchait dans les pas d’Arsinoé et de Flaminius, à la fin le voilà si bien émancipé qu’il couvre Nicomède. D’ennemi ou instrument docile des ennemis, il passe allié, puis sauveur.

Ce sont de telles évolutions qui font les beautés principales de Polyeucte et de Cinna. Les principaux caractères n’y sont point immobiles, et leur action ne consiste pas seulement à tirer d’eux-mêmes les actes où se doit exprimer leur formule : elle implique changement au dedans en même temps que production au dehors.

Polyeucte aime Pauline, et, tout chrétien qu’il est, il croit pouvoir faire à Pauline sa part à côté de Dieu ; il croit pouvoir ôter ou refuser un peu à Dieu pour donner à Pauline. Il la traite en valeur moindre sans doute, mais indépendante. Puis, éclairé par le