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l’action et l’intrigue.

l’impossibilité où elle est de se refuser indéfiniment à cesser sa poursuite. Les situations n’obligent les personnages à agir comme ils font que parce qu’ils ont les caractères qu’ils ont ; et ces situations qui fournissent la matière, non la forme de leur action, sont elles-mêmes le produit de leurs caractères travaillant sur une situation antérieure. L’intrigue ne subsiste comme elle est que par la qualité interne des personnages. Du moment qu’une des âmes s’est émue à produire l’acte qui lui est propre, toutes les autres successivement sont entrées en jeu. Le choix du roi a été la chiquenaude qui a donné le mouvement à ce petit monde.

Dans Polyeucte, les données sur lesquelles se fait le jeu psychologique sont rassemblées au premier acte, les personnages par qui il se fait sont présentés. Et la pièce va à son but par le concours et le conflit des forces qui émanent des quatre personnages, Polyeucte, Pauline, Félix, Sévère : le travail scénique est produit par un engrenage de sentiments dont l’origine est dans des caractères antérieurs aux événements et indépendants des événements. Il suffît de poser Polyeucte chrétien, Sévère de retour : par la vertu des quatre caractères, tout suit.

Je ne dis pas que Corneille ait toujours réussi à faire marcher toutes ses tragédies par la seule force des ressorts que les âmes des personnages contenaient. Mais est-il étonnant qu’ayant inventé cette forme de mécanique théâtrale, il ne l’ait pas amenée d’abord à sa perfection et l’ait parfois maniée avec maladresse ? Il faut regarder son principe, et non les erreurs qui l’en écartent. Or il n’y a pas à douter,