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CORNEILLE.

plus de la vie. Rien n’intervient qui dérange leur action ; et le miracle précisément, à moins d’une règle du jeu, c’est que rien n’intervienne. Quand je vois Arsinoé suborner deux spadassins pour faire croire à Nicomède qu’ils ont mission d’elle de l’assassiner, et pour accuser ensuite Nicomède de les avoir subornés afin de faire croire à Prusias qu’Arsinoé les avait chargés d’assassiner Nicomède, quand je vois ces ressorts jouer à point nommé pour embarrasser Prusias et brouiller le père avec le fils, quoiqu’il n’y ait rien là qui ne soit prévu, qui ne soit le développement exact des données fournies par la volonté des personnages, je me dis que tout cela est trop compliqué, trop bien agencé pour être réel ; que c’est là de la mécanique, et non de la psychologie.

Ce que M. Brunetière appelle le machiavélisme de Corneille, consiste surtout en cela. Les personnages raffinent leurs motifs et compliquent leurs plans avec une subtilité invraisemblable. Ils ont l’air de joueurs d’échecs, et non pas d’hommes qui ont à compter non seulement avec des hommes, mais avec la multiple et mystérieuse force des choses. Les personnages cornéliens lisent trop aisément dans le jeu de l’adversaire et sont trop experts à se damer le pion les uns aux autres. Dans Félix, c’est exquis de naturel et de vérité : mais dans Rodogune, ou dans Sertorius, ou dans Attila, il y a certainement de l’excès.

La raison de cette disposition de l’intrigue doit le chercher toujours dans le parti pris psychologique de Corneille. Il peint des volontés. Ses personnages sont pleinement conscients, ils combinent leur action, la choisissent avec connaissance. Ils