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l’action et l’intrigue.

ne sont pas emportés, traînés : ils se déterminent, ils vont d’eux-mêmes. Les données du sujet leur ouvrent une sphère d’action, et en même temps la limitent : ils s’y meuvent par leur libre arbitre, agissant et réagissant entre eux, et composant un système fermé de forces qui trouvent enfin leur arrêt dans le dénouement. C’est ce jeu des caractères que Corneille cherche dans l’intrigue.

Même c’est la nécessité ou tout au moins l’utilité morale qui introduit parfois dans les pièces des personnages et des scènes dont l’intrigue pourrait à la rigueur se passer. Aurait-on besoin d’un monologue de don Diègue après qu’il a été désarmé, et avant qu’il demande à son fils de se venger ? Assurément non ; sans ce monologue, on imaginerait sans peine le cours des pensées du vieillard, et tout arriverait aussi bien. Qu’est-il donc ? moins une pièce de l’action qu’une pièce du caractère : Corneille nous arrête à regarder ce vieillard, à mesurer la hauteur de son âme, la profondeur de sa souffrance. Il ne lui suffit pas que nous comprenions qu’il doit s’adresser à Rodrigue, il faut que nous connaissions en quel état il va s’y adresser. L’action ne sera ainsi que le prolongement de l’état intérieur, et apparaîtra mieux en sa valeur d’effet psychologique. On saisit ici toute la distance qui sépare l’intrigue tragique de Corneille de l’intrigue mélodramatique : elle ne vaut pour lui que par la psychologie qu’elle manifeste.

À quoi sert Livie dans Cinna ? Livie, dit Voltaire, « se mêle des intérêts de la pièce sans y être nécessaire », et les comédiens ont eu raison de retrancher