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CORNEILLE.

qu’elles expriment. Or la tragédie de Corneille est tout juste le contraire de cela. Il n’a souci que de prendre l’exacte mesure des âmes, d’en dégager la qualité essentielle, et d’assortir par une proportion rigoureuse les causes internes aux effets sensibles. Son progrès le conduit à vider presque la tragédie d’émotion, pour n’y laisser que l’étude des caractères. La différence entre les chefs-d’œuvre et les pièces de la décadence est précisément en ce que le cœur s’intéresse au Cid ou à Polyeucte, tandis que l’esprit seul peut goûter quelque satisfaction dans Othon ou Agésilas, dans Pulchérie ou Suréna.

Une chose serait incompréhensible si Corneille avait été entraîné vers le mélodrame, c’est qu’il eût repris Aristote d’avoir préféré les sujets à reconnaissances, et que, pour sa part, il les eût entièrement exclus. Pas une fois il n’a fait reposer l’intérêt de son drame sur la révélation pathétique de l’identité d’un personnage. Dans Don Sanche, la naissance royale du héros fait un dénouement postiche, où Corneille satisfait au préjugé de son temps : tout le sujet se déroule comme si en effet Sanche était fils d’un pêcheur. Dans Rodogune, l’incertitude sur l’ordre de la naissance des deux frères n’est qu’un moyen dont l’ambition de Cléopâtre se sert : la pièce finira sans que ce doute soit résolu ; et à vrai dire on n’en a pas souci. Reste donc Héraclius, où tout repose en effet sur l’ignorance de Phocas et de Martian : mais c’est cette ignorance qui est le sujet, et non la reconnaissance, dont Corneille ne songera pas à tirer parti.

Or les reconnaissances sont un des signes indis-