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CORNEILLE.

un homme aimé de deux femmes, une femme aimée de deux hommes ; tout est fini quand un des rivaux a détruit l’autre, ou que le personnage unique dont on se dispute l’amour a pris son parti ou subi sa destinée. Andromaque est au contraire une tragédie composée. Pyrrhus est placé entre Hermione et Andromaque ; mais à côté d’Hermione, il y Oreste ; derrière Andromaque, Astyanax. Pyrrhus tué, il y a deux intérêts à régler, celui d’Andromaque et celui d’Oreste. Avant ce meurtre, il y avait deux questions posées : à qui Andromaque serait-elle, à Hector toujours, ou à Pyrrhus pour son fils ? à qui Hermione serait-elle, à Pyrrhus ou à Oreste ? La tragédie implexe est faite, comme on voit, du rapport des deux tragédies simples.

Or Corneille a certainement aimé les histoires à deux fils. On le voit par sa Bérénice. Tandis que Racine prend une femme entre deux amants, Corneille assemble deux couples d’amants, Tite et Bérénice, Domitien et Domitie. Il a même construit un modèle d’intrigue d’une symétrie plus compliquée. Il pose un personnage central, en qui se réunissent les deux moitiés de l’action et qui fait l’unité. Imaginez Bajazet aimé d’Atalide et de Roxane : donnez un amant à Roxane et un amant à Atalide ; vous aurez un type cornélien d’intrigue tragique :

 Perpenna Viriate Sertorius Aristie Pompée.
 Ardaric Ildione Attila Honorie Valamir.
 Justine Léon Pulchérie Aspar Irène.


Et ici le dessin se complique encore : la figure centrale, Pulchérie, n’est pas entre deux amants,