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l’action et l’intrigue.

mais entre trois : à Léon, à Aspar, il faut ajouter Martian. Voilà bien des fils, si nous songeons surtout que l’intérêt d’amour n’est pas tout, et que Martian sera relié à Justine, Irène à Léon.

Mais il se trouve que les chefs-d’œuvre de Corneille sont précisément des tragédies simples. Dans le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, il n’y a vraiment qu’un seul fil d’histoire à suivre, un seul intérêt à régler. Même dans Rodogune, il n’y a pas d’épisode. Et pourtant, encore dans ces pièces, la tragédie paraît plus chargée de matière, moins nue que dans Racine. Cela tient à deux causes, à la nature des sujets, et au caractère de la psychologie.

On remarquera aisément que les tragédies vraiment nues de Racine sont les tragédies d’amour, à peine indiquées dans la légende ou l’histoire, comme Bérénice et Bajazet, ou déjà réduites à leur maximum de simplification par le travail des poètes antérieurs, comme Phèdre. Lorsque Racine veut encadrer l’amour dans une peinture historique, aussitôt la tragédie s’étoffe, les caractères de second plan se chargent de couleur, repoussent, et en même temps se multiplient : on a Britannicus. Corneille extrait presque toujours sa tragédie des historiens, dont il fait une étude minutieuse ; il reçoit toutes les données de l’histoire ; il tire de chacune d’elles ce qu’elle peut fournir d’explication ou de préparation. Comme il prend dans la politique et non dans l’amour la matière principale de l’intrigue, les personnages du second plan s’imposent en plus grand nombre. Dans l’amour, on peut montrer deux rivaux, trois au plus : mais dans la politique, le nombre est