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CORNEILLE.

se déterminent par des raisons universelles. Même lorsqu’ils ne parlent que pour eux, ils examinent comment tout homme, dans le cas donné, devrait agir. Ils cherchent une loi universelle de leur action. Donc ils parleront toujours par sentences, que déguiseront à peine les indications de circonstances locales et d’accidents personnels. Puis ces personnages pré-parent leur acte par une consultation attentive, le choisissent avec pleine conscience, s’y tiennent avec assurance, sans repentir. Que sera donc le style, sinon l’expression d’une âme qui s’examine, discute et résout, ou l’expression d’une âme qui défend, démontre, fait valoir sa résolution ? Délibération avec soi, discussion contre autrui, raisonnement dans les deux cas, logique analytique ou apologétique, voilà ce que peut être le discours d’un héros cornélien[1]. D’où l’impression, et la critique, que les personnages de Corneille raisonnent trop. Il n’y a pas chez eux d’inconscience, d’expression abandonnée, d’épanchement involontaire, il n’y a pas (sauf à de certains moments, très courts) de ces mots qui semblent couler de l’âme et faire couler l’âme tout entière avec eux. Chaque phrase déclare la claire conscience d’une idée et des rapports qu’elle soutient avec un groupe d’idées.

On sait ce qu’il y a dans ce style de Corneille d’éloquence, de finesse, d’esprit même : mais y a-t-il de la poésie ? Et d’où sortirait-elle ? Fénelon l’a dit à la fin du siècle, et le romantisme, puis les

  1. Voir Horace, II, 3 ; Polyeucte, IV, 3 ; Cinna, IV, le monologue d’Auguste.