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CORNEILLE.

Il ne faudrait pas croire que Corneille travaillât sur l’actualité comme un romancier ou dramaturge d’aujourd’hui qui exploite le scandale récent ou le fait divers sensationnel. Sa tragédie n’est jamais un reportage, c’est évident. Mais la vie contemporaine l’enveloppe, l’assiège, le pénètre : elle dépose en lui mille impressions qui se retrouvent lorsqu’il aborde un sujet, qui, à son insu, dirigent son choix, et, dans quelques lignes indifférentes d’un médiocre historien lui font découvrir une tragédie puissante. Elle lui fournit la représentation précise qui réalise dans son esprit les vagues et abstraites données de l’histoire. Il pense le passé dans les formes et les conditions du présent.

Cette localisation de la tragédie cornélienne dans le présent ne se fait pas remarquer seulement dans les sujets et dans les actions, on l’aperçoit encore dans le dessin des caractères, dans l’attribution qui leur est faite de certains sentiments auxquels notre esprit a souvent peine aujourd’hui à se prêter. Les héros amoureux sont des précieux, qui croient que leur amour placé sur un bel objet les rend plus honnêtes hommes, et qui, n’étant jamais aveuglés ni affolés de passion, savent converser spirituellement sur leurs affaires de cœur. L’amour n’empêche pas ces héros, ces politiques de se conduire par des maximes héroïques ou politiques. Il est un amusement, ou plutôt un goût noble qui embellit tout à la fois et égaie des existences vouées aux rudes efforts. Même développé en profondeur, élevé à l’idéal par l’invention psychologique du poète, il relient la physionomie et comme la coupe du temps,