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LE RAPPORT À LA VIE.

qui le fait dater. César fait le galant avec Cléopâtre du ton dont Condé entretenait Mlle du Vigean. Entendez Polyeucte expliquer à Néarque la puissance d’un bel œil sur les gens de sa qualité : ne dirait-on pas un courtisan donnant à comprendre à quelque « cuistre de Saint-Sulpice » qu’il n’y a point d’honnête homme sans amour ?

À côté de l’amour, que de sentiments, que d’aspects et comme d’attitudes des âmes, tout en ayant d’éternels fondements dans la nature humaine, n’ont pourtant un air de vie et de réalité que si on les replace dans le milieu du xviie siècle, sur toutes les conventions sociales qui les soutiennent ? Ces princesses dont la vocation est de sentir, d’aimer par raison d’Etat, à qui leur gloire interdit de donner jamais leur royale main à un sujet, le plus grand même et le plus noble, une Infante, une Pulchérie, une Eurydice, ne sont-elles pas les contemporaines de Marie de Gonzague aimant Cinq-Mars et épousant le trône de Pologne, de Mademoiselle demeurant vieille fille, parce que, comme fille de France, elle ne doit épouser qu’un roi d’un grand royaume ? Nous serions tentés de voir des artifices, des ficelles de théâtre dans l’importance donnée à la distinction des rangs, aux inégalités de la naissance, dans l’usage que le poète fait de ces ressorts pour nouer ou dénouer ses intrigues. Il nous paraît encore naturel que des filles de ducs refusent d’épouser des bourgeois, que des bourgeois refusent leurs filles à des ouvriers : mais nous nous étonnons que le sang royal mette une distance infinie entre une amoureuse et son héroïque amant. Nous sommes