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CORNEILLE.

surpris que Corneille éprouve le besoin de faire reconnaître pour un vrai prince ce don Sanche que pendant quatre actes et demi il nous a fait admirer pour un soldat de fortune, et pour le fils d’un pêcheur : et nous ne comprenons plus quand ce héros qui criait fièrement tout à l’heure :

Ma valeur est ma race et mon bras est mon père,


dit aux grands d’Espagne qui l’ont hautement méprisé, vilipendé, insulté, pour n’être pas gentilhomme : « Vous étiez dans le vrai ». Tout s’éclaircit quand on revit par la pensée dans ce xviie siècle, où rien ne dispensait d’être né, où Madame faisait biffer sur un registre le nom de Bavière dont Mme de Dangeau, née du mariage morganatique d’un électeur, avait signé ; où le maréchal Fabert, faute de quelques « quartiers », ne pouvait recevoir l’« Ordre » ; où un Turenne croyait se grandir en se prétendant prince, où les princes étrangers avaient dispute contre les pairs pour la préséance, les pairs contre les présidents à mortier ; où c’était une affaire d’avoir le tabouret ou le fauteuil dans une visite, le Monsieur ou le Monseigneur dans une lettre, le Pour M. un tel ou le M. un tel sur la porte d’un logis dans les voyages de la cour ; où les reines se morfondaient à attendre leur chemise, quand il n’y avait pas là de main assez qualifiée pour la leur présenter, ou quand deux mains également qualifiées se la disputaient.

Et ce machiavélisme, tant reproché au pauvre Corneille comme une chimère subtile de sa normande cervelle, n’est-ce pas l’esprit même de cette