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LE RAPPORT À LA VIE.

loppement » prodigieux et fidèle d’une image cachée dans l’obscurité indécise du réel.

Il le sera si par la préparation scénique il est réduit de son invraisemblance singulière à la vraisemblance commune, si de faits donnés et acceptés, vrais ou vraisemblables, le poète nous conduit au fait extraordinaire par des liaisons si exactes, si justes, que nous ne puissions nous refuser à recevoir l’effet, ayant connu les causes, et que l’impossible de tout à l’heure nous apparaisse maintenant comme possible et même comme nécessaire.

Il faut, pour cela, que les actes hors nature soient le produit de sentiments naturels, que les perversités ou les héroïsmes qui étonnent la nature nous apparaissent comme étant dans la nature, ou sortant de la nature par une cause naturelle. Il faut que toutes les passions, les efforts, les crimes, les dévouements qui ne se voient guère dans le train commun du monde, nous aient l’air d’être les effets des principes que nous sentons en nous, et que les personnes tragiques ne nous semblent pas des êtres artificiellement grossis et grandis, mais des créatures affranchies des entraves extérieures ou intérieures qui nous lient dans la vie ordinaire, et mises en état d’être en acte tout ce que nous ne serons jamais qu’en puissance.

Or il n’y a point de doute que Corneille ait ramené à des causes morales, à des jeux de caractères et à des chocs de volontés les effets invraisemblables que ses sujets tragiques contenaient. Il s’agit donc de savoir si les forces morales qu’il a mises en action sont en nature ou en degré vraisemblables,