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LE RAPPORT À LA VIE.

traits que tous les visages d’une époque ont un air de ressemblance ? Ce n’est pas que la nature ait des modèles de nez et de mentons pour chaque époque : mais, inconsciemment ou non, chacun se fait la tête de son temps, Louis XV ou Directoire, Louis-Philippe ou second Empire. N’en serait-il pas de même au moral et quand nous nous observons, quand nous nous composons, ne réduisons-nous pas notre visage moral, qui souvent, laissé à lui-même, serait tout autre, à une expression et comme à un profil qui nous sont imposés du dehors par la mode contemporaine ?

Les héros de Corneille, à notre goût, savent trop ce qu’ils font, ne perdent pas assez la tête. Puis, leur mouvement les élève, au lieu de les précipiter : la vie les ennoblit, au lieu de les dégrader.

Mais d’abord la matière de leurs actes, la matière que travaille leur volonté, c’est l’honneur et le sentiment filial, c’est le patriotisme et l’amour, c’est l’ambition affamée ou rassasiée, c’est la lassitude qui suit les désillusions, les désillusions qui suivent la possession du bien longtemps convoité, c’est l’amour de Dieu, l’amour paternel, maternel, fraternel, c’est l’orgueil, et la dignité, et l’intérêt, public ou privé : tout cela n’est-il pas profondément humain, et pris en plein courant de la vie ?

Il reste donc uniquement, à la charge de Corneille, que de faire effort sur soi pour un bien qu’on connaît, d’avoir conscience entière des motifs de ses actes, de vouloir persévéramment, sans être ébranlé par aucune pression du dedans ou du dehors, de savoir dire non, et le maintenir quand le ciel croulerait, c’est là un idéal hors nature.