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L’INFLUENCE DE CORNEILLE.

commun des hommes ? et n’est-ce pas la leçon de Corneille ?

Leçon d’autant meilleure qu’elle devient plus nécessaire de jour en jour. Toute l’évolution de la civilisation tend à diminuer à la fois la spontanéité et la volonté. Or, les actes spontanés qui ont un caractère moral supposent une confiance traditionnelle ou une foi héréditaire, car les objets n’ont pas été choisis par l’individu. Mais la civilisation tend à détruire partout la confiance traditionnelle et la foi héréditaire, partant à réduire le nombre des impulsions spontanées qui portent au sacrifice de soi-même. Tandis que les objets anciens de respect et d’adoration sont dissous par la critique, ou pour le moins retenus par la réflexion sous son analyse, la spontanéité égoïste est mise en liberté, et l’individu est livré à ses passions, à la poursuite des objets de ses appétits et des instruments de sa jouissance. Mais cette spontanéité même est singulièrement affaiblie dans la société moderne : les habitudes contraignent les tempéraments ; le savoir-vivre, la politesse des mœurs, le bien-être même et la sécurité de la vie font leur effet, usent ou dessèchent les énergies spontanées, et déshabituent l’homme de courir d’un élan brutal à la satisfaction de son instinct ; si bien qu’il s’occupe plus à jouir de sa convoitise même qu’à la satisfaire. Stendhal avait raison : la vie de société a tué l’énergie ; et l’on trouve dans le monde actuel plus de rongeurs que de grands fauves.

La volonté diminue aussi. Dans la plupart des emplois, le profit est petit, mais sûr ; l’avancement lent, mais régulier. Les institutions, les règlements,