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LE THEÂTRE AVANT CORNEILLE.

vengeances furieuses, un capitan ridicule, des héros qui se nomment Florisel de Niquée ou Agésilan de Colchos, une action qui se déroule au royaume de Guindaye ; voilà ce qu’était une tragi-comédie en 1636. Rotrou avait écrit ce poème extravagant, précieux et lyrique, plein de choses exquises : et il en avait pris le sujet dans l’Amadis.

On n’a pas tous les jours un prince travesti en fille : mais ce ne sont que filles déguisées en cavaliers pour suivre ou chercher un amant, courant les chemins, les monts et les bois, dépouillées ou enrôlées par des voleurs, semant l’amour sur leur passage dans les châteaux et les auberges, cajolées des dames que trompent leurs habits, ou pressées des galants qui devinent leur sexe, trouvant parfois des brutaux qui les obligent à tirer l’épée, pâles et transies de frayeur. Ailleurs une princesse se costume en paysanne ou en pèlerine ; ailleurs un prince prend l’habit de son valet pour rebuter un amour dont il ne veut pas, ou il se fait jardinier au château de sa maîtresse pour la voir et respirer son parfum. On ne voit que fuites ou poursuites, enlèvements, substitutions, quiproquos, duels, naufrages, pirates, assassins, bagues qui font aimer, oublier ou haïr, et, pour finir, reconnaissances, réconciliations et mariages. La scène se passe tour à tour dans toutes les régions de l’univers, et dans des royaumes chimériques, à Paris ou à Lyon, en Espagne, en Angleterre, en Danemark, en Épire, en Dalmatie. C’est la géographie de Shakspeare.

Dans les forêts, au bord d’une rivière, se déroulaient les pastorales. Ce n’était plus le poème d’amour