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CORNEILLE.

le coup d’essai de Tristan : cette fière innocente, bravant les ennemis qui la guettent et le mari qui l’aime et qu’elle hait, cet Hérode, affolé d’amour et de soupçons, prompt à condamner, prompt à se repentir, et, quand il est trop tard, dégorgeant tous les bouillons de son âme violente et faible dans un monologue formidable, ces deux personnages séduisirent les âmes excessives des spectateurs de 1636.

Tout le théâtre était donc alors hors de la vie ou au delà de la vie : tout était étrange, déformé, grossi, plus haut ou plus bas, plus surprenant, ou plus atroce, ou plus bouffon que la vie : c’était le roman de la vie plutôt que la vie même. Et c’était en effet le roman, non la vie, qui servait de modèle : les poètes de théâtre allaient de Cervantes à d’Urfé, de l’Amadis à l’Argénis, de Leucippe à Cléagénor. On démarquait les comédies des Italiens ; on s’appropriait leurs pastorales. Mais la tragi-comédie vivait surtout aux dépens des Espagnols ; outre la veine si riche des Nouvelles, déjà exploitée par le bonhomme Hardy, depuis quelques années arrivaient chez nous, en livrets ou en recueils, les Comédies du grand Lope de Vega et de ses successeurs : nos « jeunes », Rotrou en tête, se jetèrent sur cette proie ; ce fut une belle curée. On renonça à inventer : les féconds Espagnols nous épargnaient cette peine.

Mais, juste au moment où l’abondance du répertoire espagnol promettait des jours heureux, de la gloire sans travail à nos auteurs, des règles furent apportées d’Italie qui gênèrent les copistes et les obligèrent de faire au moins quelque effort pour arranger les pièces qu’ils pillaient. Je n’ai pas à