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LE THEÂTRE AVANT CORNEILLE.

comédie, qui traite le fait (mariage des amants) comme un dénouement, non comme un spectacle, et en produit les causes, les agents, les obstacles, non les aspects et les suites. Par un goût du public français, et par certaines circonstances sociales et littéraires, influencée à la fois par la tradition des anciens mystères et par la séduction contagieuse du roman, la tragi-comédie se lança follement dans cette nouvelle voie et ne se contenta point d’un changement de bien en mal, mais multiplia les revirements, les alternatives de crainte et d’espoir. Tantôt se faisant vaudeville, c’est-à-dire cherchant dans des combinaisons d’incidents la raison des diverses fortunes des personnages ; tantôt annonçant la tragédie classique, c’est-à-dire prenant ses ressorts dans les mouvements et les conflits des caractères, souvent mêlant l’intrigue vaudevillesque et la psychologie dramatique, la tragi-comédie retint longtemps aussi des traces de son origine en ce qu’elle se servit de tous ces moyens, moins pour les, faire concourir à un effet final par un travail continu que pour en faire surgir des états de passion successifs qui se traitaient distinctement comme thèmes poétiques : c’est-à-dire que le héros, au lieu d’être soumis à une douleur unique, était promené par des états multiples douloureux ou joyeux, l’objet principal du poète étant la peinture de ces états mêmes et non la description de l’action qu’ils recevaient ou transmettaient. Néanmoins, les poètes ne peuvent plus se dispenser d’indiquer le mécanisme et la production des faits ; et, quand la tragédie se rétablit, il est visible que, sous le même nom, elle est déjà autre chose que la tragédie de Jodelle et de Garnier.