Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
CORNEILLE.

Théophile s’est contenté, dans Pyrame, d’introduire dans une œuvre bâtie sur le patron de la tragédie pathétique une ou deux scènes de tragi-comédie, qui donnent un peu de mouvement et de surprise. Mais avec Mairet qui rend la vogue à la tragédie par la Sophonisbe, le changement se dessine. L’auteur nous tient dans l’incertitude du dénouement. L’exposition est une péripétie qui nous montre l’héroïne précipitée dans le malheur, par la ruine de Syphax et la victoire des Romains ; mais là même, Mairet fait briller, et parfois un peu grossièrement, quelques lueurs d’espoir pour Sophonisbe. Si bien que les deux premiers actes, en posant le péril, ne fondent plus un désespoir immobile, mais une crainte active, et excitent l’effort de l’héroïne pour s’ouvrir une voie de salut. Ainsi la scène capitale ne sera plus une scène de « passion », au sens grec du mot, l’exhibition d’une agonie ou d’un martyre, mais une scène d’action, le dessin d’une énergique séduction par où Sophonisbe se soumet son vainqueur. Et ainsi s’opère un second changement, de mal en bien, au troisième acte. Mais alors interviendra la dure politique de Rome : le quatrième acte sera une lutte, Massinissa essayant de fléchir Scipion et de faire révoquer l’ordre de la mort de Sophonisbe : nous voyons donc non seulement l’effet, mais le jeu même du ressort qui produit le dénouement.

Mais cette tragédie et les autres du même temps n’étaient pas nettes : l’ancien système dominait encore les esprits ; ni Mairet, ni Rotrou, ni Tristan, ni Corneille même dans Médée ne se rendaient un compte