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LES ÉCRITS THÉORIQUES DE CORNEILLE.

de terreur. Corneille, qui ne ramène pas tout au pathétique, mais à l’étude des motifs, préfère les deux autres formes, celles où il y a le moins d’inconnu, où l’acteur sait ce qu’il fait, et demeure responsable de son acte. Presque toutes ses pièces rentrent dans la première et la quatrième catégorie. Horace et Polyeucte représenteraient bien la première ; le Cid, Cinna, appartiennent à l’autre. Tous ses chefs-d’œuvre se classent dans les deux espèces qui déplaisent à Aristote : rien ne découvre mieux la nature originale de la tragédie française, telle qu’il l’établit.

Corneille décide encore diverses questions : que la tragédie « demande quelque grand intérêt d’État ou quelque passion plus noble et mâle que l’amour », ce qui l’achemine aux sujets politiques ; que les rois et les héros doivent être représentés en leur humanité, non dans la particularité de leur condition ; que le personnage tragique peut s’élever au delà de cette médiocre bonté où Aristote veut le renfermer, et être ou tout à fait bon ou tout à fait méchant, sans cesser d’être semblable ou sympathique au spectateur : ici encore, l’indépendance de Corneille éclate ; mais ce n’est plus sa technique qu’il défend, c’est proprement sa psychologie, sa vue de l’âme humaine.

Telles sont en raccourci les idées principales de notre poète sur son art. On peut reprendre dans sa discussion bien de la lourdeur scolastique et de la chicane normande. Il marque aussi parfois un peu trop de goût pour les habiletés de métier : son excuse, c’est qu’il venait de créer ce métier. Mais ce sont là des défaillances où il ne faut pas s’arrêter. En géné-