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l’histoire et la politique.

On conçoit aisément pourquoi Corneille s’est tourné si souvent vers Rome. Il ne pouvait trouver une histoire plus riche, plus variée, mieux préparée à subir la forme dramatique, et qui satisfît mieux à la condition essentielle de fournir à la tragédie une garantie d’authenticité ; les historiens de Rome ont, avec l’abondance des détails, qui fait vivre, l’autorité, qui fait croire.

Puis il n’y avait pas d’histoire qui se prêtât mieux à contenir la psychologie cornélienne. Dans la réalité, le génie romain, dur, étroit, brutal, avare, incapable de subtile métaphysique et de lyrisme sublime, borné à la recherche de l’utile et aux pensées pratiques, arrivait à la noblesse par la maîtrise de soi, par l’effort patient, par l’intelligence de la discipline nécessaire. Il soumettait la force au calcul et à la raison. Il concevait l’utilité d’une morale, et son énergie, son activité cherchaient une règle pour s’exercer avec sécurité.

Ce caractère, dépouillé de sa grossièreté, épuré par les regrets des politiques et par l’idéalisme des philosophes, animé par l’imagination des historiens et des poètes, fournit aux écoles et à l’art de l’Empire un type hautain de désintéressement et de fermeté. Les personnages historiques s’emplirent de la beauté morale conçue par un âge plus délicat et moins fort ; les consuls chevelus, les citoyens nourris d’ail, éleveurs de porcs, qui avaient soutenu la République, devinrent de purs « stoïciens », serviteurs impassibles de l’ordre universel et de la raison souveraine. Sénèque, Juvénal les donnèrent en exemple, et Plutarque fit croire qu’ils avaient vécu.