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CORNEILLE.

La Renaissance retrouva ces figures, et les fit sortir des livres anciens. Une idée du Romain grave, immolant sa vie et sa famille à sa patrie, producteur infatigable d’actes sublimes et de mots qui valent des actes, hanta tous les esprits lettrés. On la suit de Montaigne à Balzac, de Balzac à Bossuet, de Bossuet à Montesquieu ; elle transporte encore Vauvenargues et Rousseau ; et si elle a fait venir bien des déclamations sur les lèvres de nos révolutionnaires, elle a mis en leurs cœurs un principe de noblesse virile.

Corneille n’eut donc qu’à recevoir ce que l’histoire, ou ce qui passait pour être l’histoire, lui offrait. Cette figure du Romain, un peu creuse en sa grandeur, était bien la forme qui convenait pour loger l’âme libre que le poète concevait. La psychologie cornélienne était bien le mécanisme qui pouvait remuer ces mannequins grandioses. Il y avait harmonie entre la tradition et l’hypothèse, entre la convention historique et le système moral.

La qualité de Romain nous est par avance une garantie d’héroïsme. Ne sont-ce pas ces noms barbares, Rodelinde, Pertharite, Grimoald, Unulphe, qui nous rendent invraisemblables les grands sentiments et les héroïques calculs des personnages ? Jamais on ne croira de ces Lombards ce qu’on croit sans peine de gens qui s’appellent Horace ou Pompée, Émilie ou Pauline.

En dehors de Rome, il n’est qu’un peuple qui ait, dans l’histoire ou dans l’opinion, un privilège d’héroïsme : c’est le peuple espagnol. Là aussi le sublime cornélien vient naturellement comme une floraison