Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
l’histoire et la politique.

indigène : il a des tons plus chauds, une exubérance plus folle que dans le terroir romain. Dans le Cid et dans Don Sanche, les actes font bien l’effet d’être le produit direct des âmes, et l’on ne voit pas les sutures qui rattachent la psychologie du poète aux données des sujets.

Ce sont les tragédies romaines qui ont fait célébrer « Corneille historien ». Dès son temps, et surtout contre Racine, on a vanté chez lui le scrupuleux respect de l’histoire. Mme de Sévigné, Subligny, Saint-Évremond en ont laissé des témoignages notables. « Ceux, dit Saint-Évremond, qui veulent représenter quelques héros des vieux siècles, doivent entrer dans le génie de la nation dont il est, dans celui du temps où il a vécu, et dans le sien propre » : et c’est selon lui le mérite éminent du seul Corneille, « qui fait mieux parler les Grecs que les Grecs, les Romains que les Romains, les Carthaginois que les Carthaginois ne parlaient eux-mêmes ».

Il est certain que Corneille s’attribuait volontiers ce mérite ; qu’il faisait valoir son soin de garder « les vérités historiques », toutes les fois qu’il n’avait pas à expliquer son droit de s’en affranchir ; qu’il a tâché toujours de couler ses inventions parmi les faits réels en les y assortissant, de façon que le mélange fût aussi peu apparent que possible ; qu’il a, pour cet effet, patiemment dépouillé les historiens, utilisant tous les textes, cueillant ici un fait, là un nom, appliquant toutes ces pièces avec un soin méticuleux pour faire à son œuvre comme un revêtement d’histoire authentique. Il n’a pas craint de choquer le goût ou les mœurs de ses contemporains par des