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CORNEILLE.

Métaphraste, à Paul Diacre, etc. La méthode est d’inventer librement, en gardant les faits trop connus, que nul n’ignore, et en multipliant les détails exacts, qui peuvent se ramasser chez les historiens : entre les deux se glissera insensiblement tout le pur vraisemblable sans réalité dont le poète a besoin.

Plus grave, et de plus de conséquence est l’altération des caractères. Quel rapport entre la fière Cléopâtre, ambitieuse et froide, de la tragédie de Pompée, et la voluptueuse Égyptienne que Plutarque a montrée ? Mais Corneille, qui sait lire Baronius quand il y a intérêt, n’a pas regardé Plutarque pour dessiner Cléopâtre. Quel rapport entre l’Othon de Tacite, un mol et faible épicurien, et l’Othon de Corneille, une âme forte, toujours maîtresse de soi, et prouvant sa force par sa souplesse même ? Cet admirable Auguste, désabusé, las, libre, et s’élevant ainsi à la générosité, qu’a-t-il de commun avec l’astucieux vieillard de Tacite, qui jusqu’à la fin ne se fera aucun scrupule de verser le sang et ne saura pas refuser un meurtre à sa femme ? Enfin la tragédie de Nicomède est très significative ; l’histoire offrait deux études curieuses à faire : un habile diplomate dans Flamininus, un farouche et rusé barbare dans Nicomède. Corneille rejette Flamininus, que Plutarque et Tite-Live lui présentent dans une si nette réalité : il forge un chimérique Flaminius, espérant bien que la ressemblance des noms empêchera de découvrir la falsification : et pourquoi cette adresse ? pour se ménager deux beaux vers, et une foudroyante réplique. Il retient Nicomède : mais il ne s’occupe pas de ce que fut dans l’histoire ce tyranneau asiatique,