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le naturalisme.

posthume de Bouvard et Pécuchet (1881). Ces expériences incessamment renouvelées de la bêtise bourgeoise deviennent vite fastidieuses et fatigantes. L’accumulation des petits faits, vraisemblables ou vrais chacun isolément, a quelque chose d’artificiel, de mécanique : ces bonshommes sont des caricatures sèches et tristes. C’est là surtout que l’ironie s’alourdit jusqu’à la cruauté : précisément parce que Flaubert prend son point de départ dans son préjugé personnel, c’est là qu’il y a le moins de vérité objective, et, sous la platitude réaliste du détail, le plus de fantaisie arbitraire : cette étude n’est, qu’un vieux paradoxe romantique traité par le procédé naturaliste.

Une dizaine de volumes, dont trois ou quatre sont des chefs-d’œuvre, voilà l’œuvre de Flaubert, et il faut lui compter cette sobriété, qui révèle l’artiste difficilement satisfait de sa production. Aussi se faisait-il de l’art la plus haute idée : c’était sa religion, le remède au mal métaphysique, la raison de vivre. Par l’art seul, l’intelligence et la volonté saisissent leurs objets qui, partout ailleurs, leur échappent : dans l’art seulement, l’homme peut connaître et créer ; hors de l’art, il n’y a qu’illusion et impuissance. Le fanatisme artistique de Flaubert n’est pas griserie d’imagination ni expansion de sympathie : c’est la dernière étape d’une pensée philosophique, qui n’a point voulu s’arrêter dans le scepticisme pessimiste. Par là encore, il clôt l’âge romantique et remet la littérature sous la direction de la réflexion critique.


2. ROMANCIERS NATURALISTES : M. É. ZOLA.


L’école naturaliste, que Flaubert se défendait d’avoir fondée, s’est constituée à la fin du second empire, sous l’influence de Madame Bovary et des théories littéraires de Taine, sous l’influence plus lointaine et d’autant plus prestigieuse des grands travaux des physiologistes et des médecins. Le maître qui a fourni les formules les plus impérieuses, les applications les plus éclatantes de la doctrine, est M. É. Zola[1].

Flaubert n’était encore qu’un artiste : M. Zola est, prétend être

  1. M. Émile Zola (1840-1903). Principales œuvres : Contes à Ninon (1864), Thérèse Raquin (1867). Les Rougon-Macquart (1871-1893) : la Conquête de Plassan, la Curée, l’Assommoir (1877), Germinal (1885), la Débâcle (1892). Les Trois villes : Lourdes (1894), Rome (1896), Paris (1898). Les Quatre Évangiles : Fécondité (1889), Travail (1901) ; Correspondance, 1907-1908, 2 vol. — Édition : Charpentier, 40 vol. in-18 (20 vol. des Rougon-Macquart ; 8 vol. de Critique ; 1 vol. de Théâtre ; 2 vol. de Correspondance). — À consulter : E. Zola, le Roman expérimental, 1. vol ; F. Brunetière, le Roman naturaliste, 2e éd. 1892 ; R. Doumie, Portraits d’écrivains ; Larroumet, Nouvelles Études de litt. et d’art ; Massis, Comment Émile Zola composait ses romans, 1906.