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le roman.

Des épopées sociologiques, voilà bien en effet ce qu’il a donné, et j’y trouve à peu près autant de document humain que dans les épopées humanitaires de la Légende des siècles.

Mais c’est précisément ce romantisme, cette puissance poétique qui font la valeur de l’œuvre de M. Zola : cinq ou six de ses romans sont des visions grandioses qui saisissent l’imagination. Surtout, incapable, comme il est, de faire vivre un individu, il a le don de mouvoir les masses, les foules : il est sans égal pour peindre tout ce qui est confus et démesuré, la cohue des rues, une réunion de courses, une grève, une émeute. Toutes les parties de Germinal qui expriment la vie et l’âme collectives des mineurs, sont étonnantes de largeur épique.

Avec ce Germinal, qui est l’épopée du mineur du Nord, l’œuvre maîtresse de M. Zola est l’Assommoir, l’épopée de l’ouvrier parisien. Par un heureux accord de ces sujets vulgaires et de son talent brutal, M. Zola a mis dans ces deux romans plus de vérité, une observation plus serrée et plus précise que dans les autres : là aussi, plus de sincérité, je crois, et moins d’artifice verbal. Ce sont les deux maîtresses œuvres qui resteront de ce laborieux ouvrier. Je ne dis rien de sa Débâcle : grand sujet, œuvre manquée[1]. Toute l’émotion est dans la matière : et pour preuve, qu’on relise les plus ordinaires correspondances des journaux de 1870, on sera tout aussi douloureusement empoigné.


3. MM. DE GONCOURT, DAUDET, MAUPASSANT.


MM. Edmond et Jules de Goncourt[2] ont inventé trois choses, ils le disent du moins : le naturalisme, la vogue du xviiie siècle, et le japonisme. Pour nous en tenir à la littérature, ils se flattent un peu ; cependant Germinie Lacerteux est de 1865, et suivait Renée Mauperin, qui est de 1864. Or tant par l’une que par l’autre de

  1. Je suis un peu revenu de cette idée depuis que j’ai lu des études historiques très fouillées et précises sur la guerre de 1870 : elles donnent la même impression de confusion ; désarroi, incohérence, piétinement, désorganisation, et va-et-vient des masses, c’est bien ce que Zola a compris et peint. Seulement le procédé artistique ici est mauvais : le cadre romanesque est banal ; on voudrait que l’écrivain se fût débarrassé de toute fiction, et eût composé simplement des tableaux de la guerre, sans héros ni épisode de son invention. Je ne dis rien ici des dernières œuvres de Zola : ces romans de philosophie sociale, intéressants pour le biographe, n’ajoutent rien à la gloire littéraire de Zola (11e éd.).
  2. Edmond (1822-1896), et Jules (1830-1870) de Goncourt. Édition : Les Hommes de Lettres (Charles Demailly), 1860 ; Sœur Philomène, 1861 ; Manette Salomon, 1867 ; Madame Gervaisais, 1869 ; Idées et sensations, 1866, in-8 ; la Femme au xviiie siècle, 1862, in-8. M. Edmond de Gnncourt, depuis la mort de son frère, a donné seul quelques romans (les Frères Zemganno, 1879) et leur Journal (3 séries, en 9 vol., 1887-96). De Jules seul : Lettres. 1885. — À consulter : P. Bourget, Essais de psychologie.