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le roman.

séduisante, a subi l’influence de MM. Zola et de Goncourt. Ce n’a pas été toujours pour son bien : mais le mal, en somme, n’est pas grave, et son œuvre met suffisamment en lumière son originalité. Lui aussi, il a eu des calepins noirs de notes ; lui aussi, il a déversé ses notes dans ses romans ; on y a trouvé le fait divers, le procès scandaleux de la veille ou de l’avant-veille. Lui aussi, il a pris une gravité de médecin consultant, il a tâté le pouls à la société ; on l’a vu déposer en justice comme un expert en psychologie, dont la consultation fait preuve.

Mais M. Daudet avait trop de spontanéité pour que ses théories pussent gâter son talent : et il nous a donné quelques-uns des plus touchants, des plus séduisants romans que nous ayons. Tout ce qui est dans son œuvre impression personnelle et vécue, non pas seulement chose vue, mais chose sentie, ayant fait vibrer son âme douloureusement ou délicieusement, tout cela est excellent : il a été supérieur dans la description de tout ce qui intéressait sa sympathie. L’impersonnalité du savant n’a jamais été son fait : mais il a su objectiver sa sensation, remonter à la cause extérieure de son émotion, et, domptant le frémissement intérieur de son être, que l’on sent toujours et qui prend d’autant plus sur nous, il s’est appliqué à noter exactement l’objet dont le contact l’avait froissé ou caressé. Il est arrivé à faire une œuvre objective et point du tout impersonnelle. Provençal, il a décrit la Provence, son soleil, ses paysages, depuis le caricatural Tartarin jusqu’au très réel Roumestan. Ayant vécu à Lyon et à Paris, dans les quartiers populeux, parmi la petite bourgeoisie, ayant peiné, et longtemps coudoyé les gens qui peinent, commerçants, employés, ouvrières, il a représenté les vieilles maisons, les rues bruyantes de Lyon et de Paris, la vie laborieuse et tumultueuse des fabriques, les durs combats pour arriver aux échéances ou atteindre le jour de paye, l’effort journalier, épuisant, contre la misère : le Petit Chose, Jack, Fromont jeune et Risler aîné, des coins du Nabab et de l’Évangéliste sont d’exquises et fortes peintures de la vie bourgeoise et presque populaire. M. Daudet a l’intuition psychologique et la bonne méthode : il a su fabriquer son œuvre avec son expérience intime, sans étaler son moi. Il se pourrait bien que la vraie poésie réaliste, que nous cherchions précédemment, ce fût lui qui l’eût trouvée.

Enfin, M. Daudet a tenté aussi de grandes études historiques de mœurs contemporaines : le monde du second empire dans le Nabab,

    illustrée, Flammarion, 13 vol. in-18. — À consulter : A. Daudet, Trente Ans de Paris (1880), Souvenirs d’un homme de lettres (1888), Coll. Guillaume ; F. Brunetière, le Roman naturaliste ; Doumie, Portraits d’écrivains.