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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/209

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le quinzième siècle.

devait être mesurée à l’action historique ou à l’intérêt intrinsèque des œuvres [1].

Toute cette poésie se passait de spontanéité personnelle, et n’était que combinaisons artificielles, mécanisme laborieux. Les dernières années du xve siècle, les premières duxvie, voient paraître au moins quatre grands Arts de rhétorique [2], où sont méticuleusement exposés tous les mystères et tous les effets des rimes batelées, brisées, enchaînées, équivoquées, à double queue, des rondeaux simples, jumeaux, doubles, virelais simples et doubles, fatras simples et doubles, des ballades communes, balladantes, fratrisées, et autres telles épiceries, comme dit Du Bellay.

Avec les grands rhétoriqueurs, l’art du moyen âge fait ses dernières et plus démonstratives preuves d’impuissance. C’est là qu’il aboutit dans la poésie lyrique ; dans le genre épique, ou romanesque, aux fades fictions, à la prose plate de la Bibliothèque bleue ; dans la poésie satirique et bourgeoise, à la grossièreté cynique. Une impartiale étude fait éclater à nos yeux que la Renaissance a tout recréé, tout sauvé, loin de rien étouffer ou empêcher de naître. Elle a balayé la poussière d’une littérature morte ; elle a relevé le génie de la race qui semblait épuisé ou affaissé.

Et si l’on concevait encore des doutes sur l’œuvre qu’elle a fait, il suffirait, pour s’épargner des anathèmes naïfs et une déploration superflue, de se demander à qui l’oubli du vrai et du bon moyen âge, est imputable. Le xve siècle avait un moyen de le sauver : que n’a-t-il imprimé la Chanson de Roland comme le Roman de la Rose, et plutôt que les romans en prose [3]. Mais il eût fallu qu’il la connût,

  1. Éditions : Jean Molinet, Faits et dits contenant plusieurs beaux traités, oraisons et chants royaux, in-fol., Paris, 1531 ; Chronique (prose), publiée par Buchon, 5 vol. in-8, Paris, 1828. Jean Meschinot. les Lunettes des Princes, petit in-4, Nantes, 1493. (Cf. A. de la Borderie, Bibl. de l’Éc. des Chartes, janv.-avril 1895.) De Montferrand, les XII Dames de rhétorique, in-fol., Moulins, 1878. Jean Marot, Œuvres, in-8. Paris, Coustelier, 1723. Jean Le Maire, le Temple d’honneur et de vertu, Paris, 1503 ; la Plainte du Désiré, Paris, 1509 ; Trois Livres des Illustrations de la Gaule Belgique (prose), Nantes, 1509-1512 ; Œuvres, éd. J. Stecher, Louvain, 4 vol. in-8, 1882-1891. Guillaume Cretin, Chants royaux, etc., in-12, Paris, Coustelier, 1723. Sur toute cette école et en général sur les poètes du xve siècle, cf. A. de Montaiglon, Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècle, Bibl. elzév., 13 vol. in-16.
  2. L’Art et Science de rhétorique, par Henri de Croy (Molinet), A. Vérard, 1493 (réimprimé par Crapelet, Poésies des xve et xvie siècle, Paris, 1830-1832 ; le Jardin de plaisance et fleur de rhétorique, éd. S.d. (1499) ; le Grand et Vray Art de pleine rhétorique, par Pierre Lefèvre, Rouen, 1521 ; l’Art et Science de rhétorique, part Gratien du Pont, Toulouse, 1539. – Cf. E. Langlois, De artibus rhetoricæ rythmicæ, 1890, in-8 ; Recueil d’arts de seconde rhétorique, 1902, in-4.
  3. Comme Lancelot du Lac, imprimé par A. Vérard, 1494, 3 vol. in-fol. – En général ce sont les remaniements en prose, comme les plus récents, qui ont été imprimés. Cf. les Notices bibliographiques dans Léon Gautier, les Épopées françaises, et G. Brunet, La France littéraire au xve siècle, Paris, 1865.