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le théâtre du quinzième siècle.

sait qu’on jouait des farces dès le xiiie siècle, nous l’avons dit : on en a joué plus que jamais aux xve et xvie siècle. Il semble que la farce a hérité du public des fabliaux. Quelques farces, une dizaine peut-être, proviennent directement de fabliaux : mais trop de farces sont perdues, et trop de fabliaux, pour qu’on puisse conclure sur le rapport qui unit les deux genres. La prudence ne permet de rien dire de plus sur le développement de la farce.

Mais ce qui ne laisse aucun doute, c’est le caractère du genre. Toutes les œuvres conservées, si diverses qu’elles soient d’origine et de date, forment un ensemble homogène. La farce n’est pas « de la littérature » : c’est un genre entièrement populaire, et que l’esprit du peuple a créé à son image. La plupart de ces farces sont d’une insoutenable grossièreté, d’une épaisseur de gaieté dont on ne peut avoir idée. Elles ont parfois sur les curés et les moines une violence âpre de plaisanterie qui étonnerait, si l’on n’y sentait moins la haine intense que l’incapacité de sensations fines : on a affaire à des gens pour qui les bourrades sont des caresses. Évidemment cet auditoire-là — bourgeois aussi bien que vilains — se délecte dans l’ordure : les servitudes physiques de la nature humaine ont le privilège de l’égayer toujours sans jamais le lasser.

Avec cela, il a trois parties sensibles : la peau, la bourse et la femme : être rossé, volé, trompé, voilà les trois mésaventures qui le font rire quand elles arrivent aux autres, parce qu’elles le fâcheraient si elles lui arrivaient. Il est peu sensible, il a peu d’idées : les peines morales et le tourment d’esprit n’ont guère de prise sur lui. Mais il a peur du qu’en-dira-t-on : comme il aime à se gausser d’autrui, il craint plus que le feu de donner prise aux rieurs. On ne lui en fait guère accroire : il se connaît, et tels que lui-même, il estime les autres : il soupçonne le mal volontiers, et se défie de tout le monde. Il croit que le juge, l’avocat en ont à sa bourse, que le curé, le moine en veulent à sa femme. Il ne croit pas aux vertus qu’il n’a pas. Comme il est peu guerrier, il se plaît à supposer la secrète poltronnerie du soldat : c’est un moyen de se venger des airs fendants qui l’humilient et l’intimident. Mais la fondamentale préoccupation de son esprit, c’est sa femme, parce qu’en elle sont ramassées toutes les possibilités désagréables qu’il envisage. Donc il la craint, il la méprise, il s’en méfie : il la sent plus fine, mais il se sent plus fort. Aussi, pour la mater, ne croit-il qu’à « Martin bâton ». De là le thème éternel de la farce, et son éternel trio, le mari, la femme, l’amoureux. La femme est une rusée coquine : le spectateur reconnaît sa femme et toutes les femmes. Le mari, en général, est un nigaud : la farce représente toujours le ménage du voisin. L’amoureux est plutôt