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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/491

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pascal.

ne nous montre aucun objet, qu’il ne lui ait arraché le secret de son essence intime, et qu’il n’ait suivi, aussi loin que la pensée peut aller, l’action qui en rayonne à travers l’infinité de la nature.

Ce don de profondeur, qui est l’originalité propre de l’esprit de Pascal, apparaît à chaque page dans les Pensées, surtout dans celles qui se rapportent aux deux premières parties du plan précédemment expliqué. Dans la seconde, l’enquête universelle à laquelle il se livre sur la nature de l’homme lui fournit une belle matière. Il s’agit de montrer que l’homme est un composé de grandeur et de bassesse : la grandeur, ce sont les aspirations, le rêve, l’illusion ; la bassesse, c’est la réalité, et toutes les réalités, sentiments, croyances, institutions, coutumes, arts, toute la vie morale, politique et sociale de l’homme. Il faut voir avec quelle force d’observation et de logique Pascal réduit à la fantaisie, au préjugé, à l’habitude, toute l’œuvre de l’esprit humain, hors de lui et en lui-même. Toutes les remarques portent, et il n’y en a point qui ne donnent à penser longuement, quand il explique le mécanisme de l’amour-propre, ou qu’il montre l’imagination et les nerfs plus maîtres de nous que notre raison, quand il nous promène à travers le monde cherchant une morale fixe, des lois communes, quand il sonde l’institution sociale, le principe monarchique, pour ne trouver au fond, à l’origine, que la force, et qu’il autorise si superbement le respect traditionnel des lois, de la hiérarchie, de l’hérédité dynastique. Tout l’envers du monde et de l’homme apparaît, triste à voir.

Où que son raisonnement le mène, il jette de triomphants coups de sonde : il ouvre à la pensée des voies fécondes, quand il définit l’éloquence ou le style, ou quand il jette quelques mots, obscurs et bizarres de prime abord, mais combien riches de sens, sur les caractères de la beauté. Je ne puis que renvoyer à toute cette partie des Pensées : il n’y a pas un mot qui ne soit à méditer.

Mais si l’on veut prendre rapidement une idée de la profondeur de Pascal et de l’avance qu’il avait sur son siècle, qu’on s’arrête à la question qu’il pose sur la cause de l’amour. Qu’aime-t-on en quelqu’un ? L’être, ou les qualités ? qu’est-ce que l’être sans les qualités ? Et pourtant l’être ne subsiste-t-il pas, les qualités changeant ou disparaissant ? Il y a dans cette réflexion de Pascal toute la question de l’unité, de l’identité du moi, de sa réalité : un des grands et troublants problèmes de la pensée contemporaine.

Ou bien qu’on lise ceci : « Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature qui détruit la première. Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ? J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. » Et nous voici au