Aller au contenu

Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
518
les grands artistes classiques.

qu’il y a reconnu l’expression juste d’un original qu’il connaît dans la vie ; et il le retouche de façon à faire éclater cette vérité d’expression. N’y mît-il que de très légères retouches, comme dans ses fameux plagiats, elles sont si délicates et si justes qu’elles dégagent avec puissance le caractère du portrait.

Molière cherche toujours à faire vrai. Mais il ajoute à la vérité deux caractères qui appartiennent essentiellement aussi au genre : il faut qu’elle soit plaisante, et morale. La vérité des peintures doit faire rire les honnêtes gens et corriger les mœurs.

Les règles n’embarrassent guère Molière. Il y voit des « observations aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir qu’on prend » au théâtre ; et par conséquent « la règle de toutes les règles », et qui contient les autres, c’est de plaire. Au reste, il n’a aucune intention révolutionnaire : et dans la mesure où ses sujets le comportent, il se soumet aux unités. Elles s’étaient établies sans bruit dans la comédie : il était plus facile d’y réduire les sujets de pure invention dont l’ordonnance est à la disposition de l’auteur.

Personne ne peut trouver à redire, quand toutes les maisons sont rassemblées sur la même place, autour de la scène ; et l’on ne s’étonne pas, quand de simples bourgeois descendent dans la rue pour causer, comme quand des rois ou des reines sortent de leur chambre pour dire leurs secrets. La comédie garda donc une liberté, qui fut refusée à la tragédie. Molière change le lieu, quand il y a intérêt ou nécessité : ainsi dans le Médecin malgré lui et dans le Don Juan. Mais quand il prend un lieu unique, il le traite parfois hardiment comme un lieu de convention, tout irréel : voyez l’École des Femmes. On ne songe pas à se demander, dans Tartufe ou dans les Femmes savantes, si, réellement, tous les personnages ont dû venir dans cette même salle.

Molière use de même du temps : le temps est réel dans le Misanthrope ; Alceste est pris en un état de crise qui ne doit pas durer, et une journée de la vie mondaine peut suffire aux affaires de la comédie. Mais dans Don Juan, le temps est de convention, au moins pour certaines scènes : afin d’en avoir l’équivalent réel, il faut diluer la brièveté rapide de l’action dans un temps plus long. Ainsi, lorsque don Juan est entre Charlotte et Mathurine ; là, de plus, l’unité du lieu doit se résoudre, pour la vie réelle, en pluralité des lieux ; alors apparaîtra la vérité de la scène : l’homme qui courtise deux femmes, les courtise séparément et successivement. Mais le resserrement de l’action dans la convention dramatique en fait saillir vigoureusement et le comique et la moralité.

Dans toutes les règles, il n’y en a vraiment qu’une qui ne comporte pas d’exceptions aux yeux de Molière ; c’est celle qui impose de tourner les choses au plaisant. En effet, l’art comique est là :