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bossuet.

tique de l’Ancien Testament, que l’oratorien Richard Simon avait fait imprimer. Il revient en 1702 sur le même adversaire, condamne sa version du Nouveau Testament, et écrit contre lui une Défense de la Tradition et des Saints Pères. Ce qu’il combattait là, c’était la critique historique et philologique, qu’il pressentait funeste à l’orthodoxie, et destructive de la religion : aucune des polémiques de Bossuet ne fut plus grave, et c’est la seule peut-être pour laquelle il se soit trouvé insuffisamment armé.

Tant d’ouvrages et de controverses, et de grands emplois dont il fut revêtu à la Cour ou à Paris — premier aumônier de la Dauphine, puis de la duchesse de Bourgogne, supérieur de la maison de Navarre, conservateur de l’Université, conseiller d’État d’Église — n’empêchèrent pas Bossuet de donner son principal soin à son diocèse et d’y faire ordinairement résidence. Il remplissait avec zèle toutes les fonctions pastorales, sans trop distinguer le temporel du spirituel, veillant au bien-être matériel, à l’hygiène, aussi bien qu’à la morale, à la discipline et à l’orthodoxie. Il eut à appliquer l’édit de Nantes, auquel il applaudit sans l’avoir conseillé, et que plus tard peut-être il sentit être une faute. Il l’appliqua avec modération, sans aucune idée de tolérance, mais par respect pour sa religion, et de crainte des sacrilèges qui pouvaient suivre des conversions forcées et fausses : les évêques du midi, l’intendant Bâville le jugèrent tiède. Il prit grand intérêt aux communautés religieuses, qu’il soumit vigoureusement à son autorité : Jouarre et sa noble abbesse tentèrent de résister à l’évêque, qui plaida, gagna, et dut presque faire enfoncer les portes du couvent pour s’y faire reconnaître. Il distingua dans les communautés de femmes quelques âmes délicates et pures, qu’il consentit à diriger : il écrivit pour elles ses Méditations sur l’Évangile et ses Élévations sur les mystères. Mais il était le pasteur de tous, et non de quelques-uns : il se donnait à tous, visitant, confessant, prêchant surtout, avec une infatigable activité. Il s’affaiblit à la fin de 1703, et mourut le 12 avril 1704.

L’unité de cette vie, (si du moins on peut se flatter de saisir le principe d’action d’une âme qui ne s’est jamais livrée ni étalée), c’est l’absolu désintéressement, c’est le dévouement sans défaillance au devoir, sous toutes les formes où successivement il se présente ; chacun des ouvrages de l’orateur ou de l’écrivain est venu à son heure, pour un besoin actuel et précis, sans nul désir de gloire littéraire. Avant tout, Bossuet est prêtre ; cette qualité détermine les formes de son esprit et de sa conduite : le service qu’il fait à son roi, à son pays, à son prochain, est celui qu’un prêtre peut faire. Mais dans sa haute et généreuse intelligence, ce service s’élargit, de façon que son état de prêtre ne lui crée jamais une dispense, lui impose souvent une aggravation de peine et d’effort.